Marie-José Pérec, considérée comme la plus grande athlète française de l'histoire, raconte dans un entretien à l'AFP les ressorts intimes qui l'ont poussée vers l'excellence et confie à quel point elle aurait aimé participer aux JO de Paris, "un truc de fou" qui "galvanisera" les sportifs français.
Auriez-vous aimé participer aux Jeux de Paris ?
Faire les Jeux à la maison, je signe tout de suite. Je repars d'une page blanche, je remets tout en jeu. Je pense que tous les anciens sont dans ce cas. Ça va être un truc de fou. Les jeunes ne savent pas la chance qu'ils ont.
Évoluer à domicile sera un avantage pour les athlètes français ?
Je pense. Il y aura une telle énergie... Certains athlètes, pas tous, prendront la vague et vont la surfer. On va voir des surprises. J'y crois parce que c'est un moment qui galvanise.
Quelle place ont pris les JO dans votre vie ?
J'ai tout vécu sur les JO. Les premiers, je découvre. C'est là que je me dis : dans quatre ans je viens et je gagne. Et je deviens championne olympique en 1992. En fait, j'ai toujours cherché à marquer mon temps.
Lequel de vos trois titres olympiques est le plus fort ?
Ma victoire sur 200 m en 1996 parce que ce n'était pas ma discipline. C'est déjà difficile de gagner des Jeux, mais encore plus dans une épreuve qui n'est pas la tienne. Ça reste vraiment cette course, avec toute l'histoire qu'il y a derrière. J'avais fait le choix d'aller m'entraîner aux États-Unis. Quand je suis partie, je m'étais fâchée avec tout le monde. Il fallait montrer des résultats. Ce n'était pas évident. Toute l'année, je me réveillais avec un papillon dans l'estomac.
Les JO de Sydney en 2000, que vous avez quittés avant même le début, restent un échec en revanche ?
Ces Jeux m'ont échappé. L'Australie voulait renouer avec la population indigène. C'était le moment du grand pardon avec Cathy Freeman (sa grande rivale) qui avait été choisie pour allumer la vasque. J'étais un grain de sable qui ne devait pas entrer dans la machine pour que ça se passe comme les Australiens l'avaient rêvé.
Quelle est la recette pour devenir champion olympique ?
C'est tellement dur qu'on ne peut pas y arriver si on n'a pas quelque chose de très fort à défendre. Tu veux être champion olympique pourquoi ? Qu'est-ce que tu penses que ça va t'apporter ? Tu fais ça pour qui ? Pour toi, pour tes parents, les autres ? Si tu trouves la réponse, le jour J tu seras plus fort que les autres. Il faut un moteur puissant.
Quel était votre moteur ?
Quand je suis arrivée en métropole, j'ai vécu plein de choses par rapport aux Antillais. Les gens disaient qu'on n'avait pas de projet, qu'on était nonchalants, etc. Et moi je voulais leur montrer que non en fait, qu'on savait faire des choses. Je voulais que le regard change sur nous. A l'époque, les gens ne disaient pas ce qu'ils vivaient, comment ils étaient reçus au boulot, dans les magasins. Je voulais être leur porte-voix. Mais pour cela, il fallait gagner, car sinon ton discours n'est pas audible.
Les JO représentent une tribune ultime ?
Je m'en suis servie pour ça. Je voulais aider ces gens à relever la tête. Si je vous montre les mots que je reçois encore aujourd'hui... Une partie de la population me dit bravo. Les Antillais, les Africains, ils me disent merci.
D'où venait cette envie ?
Quand on était enfants, ma mamie disait : "Ah vous avez vu ? Elle, c'est la première Guadeloupéenne à avoir passé le barreau en France. C'était Gerty Archimède (première Afro-descendante à devenir avocate en 1939)". Mamie nous appelait pour écouter à la radio les combats de Mohamed Ali. Elle disait que c'était le sauveur. En fait, elle était amoureuse des grandes figures. Elle a dû mettre des petites graines qui m'ont donné envie de devenir quelqu'un aussi.
Ça a dû résonner très fort lorsque Mohamed Ali a allumé la vasque olympique à Atlanta ?
Ça me donne encore la chair de poule rien que d'en parler. J'étais aux États-Unis depuis quelques mois, je commençais à mieux parler anglais et à comprendre toutes les histoires que (mon entraîneur) John Smith racontait sur les Black Panthers, les étudiants qui sont tombés. On s'entraînait à Atlanta où on était allés voir la maison de Martin Luther King. Je me suis nourrie de tout ça. Lorsque j'apprends que Mohamed Ali doit allumer la vasque, je me dis qu'il y a trop de choses qui font que je ne peux pas me rater. Parce que je suis porte-drapeau (de la délégation française), parce que je suis noire, parce qu'on est à Atlanta. Je dois marquer l'histoire. Arrive la cérémonie d'ouverture. Mohamed Ali allume la vasque. Et là, je deviens plus forte que Dieu. Plus rien ne peut m'arriver. Le 400 m devient une formalité pour moi.