Julia Daka : "N’importe quel enfant à Mayotte grandit plus vite que la normale" #MaParole

Julia Daka
En cette journée internationale des droits des femmes, rencontre avec une Mahoraise au parcours exceptionnel dans #MaParole. Julia Daka a grandi à La Réunion dans un climat violent. Grâce au mannequinat, elle a pu se payer ses études d’architecte. Aujourd’hui, avec son association Sadaka, elle œuvre pour la jeunesse de Mayotte.

Quand on prend la décision de quitter son île natale, Mayotte, à l’âge de 5 ans pour La Réunion. Autant dire qu’on a du caractère. Julia Daka n’en manque pas. Quand elle débarque à La Réunion dans un bidonville du Port chez sa grand-mère qui héberge ses huit cousins et cousines, elle ne désespère pas.

1 Mannequin

De ses cinq années à Mayotte, Julia Daka ne se souvient pas de grand-chose. Elle soupçonne qu’il s’est passé quelque chose de grave pour provoquer son envie de partir du foyer, mais elle ne se le rappelle pas précisément. Elle se souvient vaguement d’avoir arrêté de manger pour convaincre sa mère de la laisser partir à La Réunion avec sa grand-mère.

À La Réunion, la vie n’est pas rose. Sa grand-mère s’occupe de ses huit cousins et cousines. Julia Daka comprend très vite qu’elle va devoir grandir rapidement. À l’école, elle se bagarre souvent, elle déteste l’injustice, elle est rebelle et ressent une rage en elle. En classe, Julia Daka a bien du mal à se concentrer. En revanche, en sport, elle remporte des victoires en athlétisme. Elle est par deux fois championne de La Réunion, mais elle a tendance à "se tirer une balle dans le pied" quand on lui propose de partir en compétition au niveau national.

À l’école, les notes ne sont pas très bonnes. Julia Daka gère elle-même son carnet de correspondance, signe à la place de sa grand-mère analphabète et fait face. À 12 ans, elle participe à un stage d’arts plastiques au collège. Elle adore. Sa professeure lui offre un livre d’architecture. Le déclic ! Julia Daka se dit que c’est ça qu’elle veut faire : dessiner et concevoir des bâtiments.

Elle progresse au collège, mais malgré son 15 de moyenne en 3e, la direction lui refuse son passage en bac général et lui concède juste la possibilité de faire un bac professionnel technicien du bâtiment option architecture.

À la maison, l’ambiance est orageuse. Depuis ses 7 ans, la famille est logée dans une HLM au Port. Mais entre cousins, c’est rude. Et puis, le mari de sa grand-mère n’est pas avare en torgnoles. Alors dès qu’elle le peut, à 17 ans, Julia Daka vole de ses propres ailes. Grâce à un concours de mode sur l’île intitulée Mademoiselle mado, elle est repérée par une photographe russe, Elena lv-Skaya.

Double couverture du magazine New African Woman pour Julia Daka

2 Architecte

En 2014, Julia Daka quitte définitivement La Réunion pour Paris. Elle souhaite s’inscrire à l’Institut supérieur d’arts appliqués, une école privée. En attendant, sa carrière de mannequin démarre très vite. En 2014, grâce aux photos d’Elena lv-Skaya qu’elle a postées sur les réseaux sociaux, elle fait la couverture du magazine The New African woman en Afrique-du-Sud et en Grande-Bretagne. On la voit aussi en couverture de magazines locaux à La Réunion et à Mayotte. Les séances de shooting à Barcelone ou à Paris s’enchainent.

Julia Daka commence ses études d’architecte, son rêve de gamine qu’elle n’a jamais abandonné. Elle apprend avec plaisir et suit paisiblement ses années d’études en se finançant grâce à la mode. Puis, elle part rejoindre une prestigieuse agence de design à Lausanne en Suisse et commence vraiment à prendre confiance en elle.

3 Sadaka

En 2020, l’année du confinement bloque Julia Daka pendant deux mois à Paris. Elle profite de cette période pour faire le point sur sa vie particulièrement intense. Elle se souvient de son envie de créer une ONG qu’elle avait évoquée dans une interview accordée à Mayotte hebdo en avril 2013. Elle consulte ses amis artistes dont JoeyStarr.

C’est ainsi que nait Sadaka qui signifie la charité, le don ou l’aumône en swahili, en arabe et en hébreu, Julia Daka réalise que Mayotte abrite le plus gros orphelinat à ciel ouvert de France. Plus de 5000 enfants sont livrés à eux-mêmes. Elle se dit qu’avec l’envie de créer, de faire des choses concrètes, il y a bien un moyen d’aider certains de ces jeunes. Elle fédère autour d’elle une dizaine de personnes et commence à imaginer des projets.

En juillet 2021, elle embarque avec elle des humoristes et propose à des jeunes de suivre des ateliers d’écriture et d’improvisation. Elle est bluffée par les résultats. Les humoristes s’enthousiasment aussi pour cette expérience.

Quelques mois plus tard, elle embarque des designers, des graphistes et des photographes à Mayotte pour, une fois encore, organiser des ateliers à destinations des jeunes de Mayotte. Les jeunes se prennent au jeu, réalisent des photos, des dessins, imaginent des œuvres d’art. Bref, la greffe prend. À l’issue de cette résidence, Julia Daka organise une exposition à Paris intitulée Mémoire des formes en janvier 2023 pour rendre compte de cette belle aventure.

La mannequin rêve maintenant de donner vie à un lieu pérenne d’expositions, d’ateliers et d’hébergement à Mayotte. Elle rencontre régulièrement des élus et entrepreneurs sur l'île pour mener à bien ce projet auquel la mannequin architecte philanthrope croît vraiment. Au vu de son parcours homérique, on se dit que Julia Daka est vraiment capable de déplacer des montagnes.

Jukia Daka, mannequin, architecte et philanthrope

♦♦ Julia Daka en 5 dates ♦♦♦

27 mai 1994

Naissance à Mamoudzou

►2014

Couverture de The new african woman

►Octobre 2021

Fashion week

►Janvier-février 2022

Résidence Sadaka à Mayotte avec des artistes

►5 janvier 2023

Exposition Mémoire de formes à Paris