Ce mardi, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a lancé un "SOS mondial" sur la montée des eaux dans le Pacifique lors du sommet du Forum des îles du Pacifique, en dévoilant des travaux de recherche y témoignant d'une élévation plus rapide que la moyenne mondiale.
Franceinfo a interviewé ce mardi François Gemenne, géopolitologue du climat, membre du Giec et professeur à HEC, qui livre son analyse.
Les îles du Pacifique sont donc bien menacées de disparition ?
Certains de leurs territoires sont menacés de disparition parce qu'elles sont confrontées à un double problème. Le premier, c'est que l'élévation du niveau de la mer dans cette zone est plus rapide que la moyenne mondiale et le deuxième, c'est que beaucoup de ces territoires sont des atolls coralliens, donc de très faible élévation, avec pour certains un point culminant à deux ou trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Toute élévation du niveau de la mer menace donc à la fois l'habitat mais aussi l'économie et l'agriculture de ces pays.
La montée des eaux dans le Pacifique est plus importante que la moyenne mondiale parce que le réchauffement de la mer y est plus marqué qu'ailleurs et il y a un phénomène de courants marins. On a tendance à imaginer que la hausse du niveau des mers est uniforme à l'échelle de la planète, or il y a de très grosses différences selon les régions du monde.
Est-ce que c'est réversible à l'heure actuelle ?
À l'heure actuelle, c'est relativement irréversible. Même si on arrêtait le réchauffement, il y a phénomène d'inertie qui fait que la hausse du niveau de la mer se poursuivrait sans doute encore jusqu'au XXIIe siècle. Ça veut dire qu'il y a vraiment une grande nécessité d'adaptation pour ces territoires avec évidemment une question qui est terrible : jusqu'à quand pourront-ils encore être habités ? Est-ce qu'il va arriver un moment où il ne sera plus possible d'habiter sur certaines de ces îles ? Et donc est-ce qu'il va donc falloir se résoudre à relocaliser la population ?
Ces territoires s'adaptent déjà au réchauffement climatique ?
Beaucoup de choses sont déjà faites en matière d'adaptation de l'agriculture par exemple, en matière aussi de défense contre la hausse du niveau des mers. La difficulté, c'est qu'on est sur de très petites îles parfois situées au ras de l'eau et habitées par peu d'habitants et donc on va se demander si ça vaut la peine d'investir des moyens d'adaptation pour préserver ces territoires et s'il ne serait pas plus simple de relocaliser une partie de la population.
C'est d'ailleurs ce que certains États de la zone ont commencé à faire. Par exemple, l'Australie a négocié avec Tuvalu l'an dernier un accord qui vise à octroyer des visas climatiques aux habitants de Tuvalu qui se sentiraient menacés par la hausse du niveau des mers et qui voudraient déménager de façon permanente en Australie. C'est un accord qui s'inscrit dans une perspective de coopération géopolitique. L'Australie avait peur que Tuvalu et les autres îles du Pacifique se tournent vers la Chine pour assurer leur protection.
L'archipel est très inquiet pour sa souveraineté après cet accord, avec cette crainte que l'accueil des réfugiés climatiques se fasse au détriment de la souveraineté des États ?
Il y a une question très lourde de souveraineté qui se pose. Est-ce que les îles concernées pourraient conserver leur qualité d'États dans le droit international même si leurs territoires devenaient inhabitables ? Lorsque votre territoire est en train de disparaître peu à peu en raison d'actions d'autres États sur lesquelles vous n'avez quasiment aucune prise, que veut encore dire la souveraineté nationale ? C'est une vraie question qui nous ramène au fond aussi aux liens que nous faisons entre l'État et le territoire.
Il est possible que d'autres États insulaires de la région veuillent négocier le même type d'accord avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore la France qui a également des territoires dans la région, d'autant plus que certains territoires d'Outre-mer français, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, sont exactement dans la même situation et confrontés aux mêmes risques.