Justice : les regrets d'Anne-Diana Clain, sœur aînée des jihadistes réunionnais

Anne-Diana Clain, soeur de Fabien et Jean-Michel, lors de son procès à Paris le 19 novembre 2019. À ses côtés, son mari Mohamed Amri. Tous les deux sont jugés pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme", après avoir été arrêtés en 2016 alors qu'il tentait de rejoindre la Syrie.
Le procès d'Anne-Diana Clain, sœur aînée des jihadistes réunionnais Fabien et Jean-Michel, s'est ouvert à Paris, mardi 19 novembre. Avec son mari Mohamed Amri, elle est jugée pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme". 
Ses longs cheveux blonds et ondulés descendent sur ses épaules et sur son visage aux grands yeux clairs, un léger sourire s’esquisse lorsqu’elle entre dans le box des accusés. À ses côtés, son mari Mohamed Amri. Lui, cheveux noués en catogan et barbichette poivre et sel, adresse un signe à sa fille présente dans la salle. Tous deux ont l’air détendus mais ils doivent pourtant répondre devant le tribunal correctionnel de Paris, jugés pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme"
 

"Hijra"

Anne-Diana Clain et Mohamed Amri ont été arrêtés en septembre 2016, expulsés par les autorités turques alors qu’ils tentaient un second passage vers la Syrie. À l’époque, Jennifer et Fanny, les deux filles aînées d’Anne-Diana, nées de précédentes unions, ont déjà fait leur hijra, soit le départ vers le califat, avec leurs maris respectifs et leurs enfants.
 
Les petits frères Clain, Jean-Michel et Fabien, sont également en Syrie. "Je savais que Jean-Michel avait une maison. Fabien habitait à Raqqa, il avait un appartement mais je n’ai pas plus de détail", explique-t-elle à la présidente. 

Le petit frère de Fanny, âgé de 15 ans, est toujours aux côtés de sa mère, avec ses trois demi-frères et soeurs nés du mariage religieux avec Mohamed Amri. À l’été 2015, la famille décide de quitter la France pour la Syrie. Anne-Diana sait où sont situés les membres de sa famille, mais dit ne pas en savoir plus sur leurs activités. "À cette époque-là, je parle juste avec les femmes, ma petite soeur et ma fille. Je sais que mes deux frères font des anasheeds [chants guerriers, NDLR]. Je sais que mon petit frère travaillait comme gardien de la paix et gardien de prison à Tabqa et que mon beau-frère travaille dans les bureaux et c’est tout."
 

Aveuglement

Le 6 août, Anne-Diana, Mohamed et leurs quatre enfants partent en voiture pour un périple à travers l’Europe, direction la Turquie où ils doivent passer vers la Syrie et rejoindre l'État islamique. Les enfants sont mineurs, entre 8 et 15 ans. Anne-Diana a connaissance d’une vidéo de propagande où le fils d’un djihadiste, âgé de 12 ans, abat un homme d’une balle dans la tête. L’acte d’un homme fou, selon elle, mais un acte isolé.
 
"Pour moi le mal ne venait pas d’eux, [l’Etat islamique, NDLR]. Je n’arrivais pas à imaginer qu’eux, ils étaient le mal. Pour moi le mal c’était [cet homme] mais pas l’État islamique", explique-t-elle.
 

C’était naïf de ma part mais je pense que j’ai mis des oeillères pour pas vouloir regarder. J’ai conscience du danger mais je le minimise et c’est pour ça que je pars, parce qu’il est tellement minimisé que je n’y fais pas attention.

Je projetais la vie que j’avais ici, là-bas, avec ma famille. Il n’était pas question d’enfants-soldats. Je ne voulais pas que mes enfants deviennent des soldats. Jamais mes fils n’auraient pu faire un truc pareil.

Pour moi un gamin doit aller à l’école. Je n’ai pas pris conscience de la réalité.

 

Ramener la famille

Anne-Diana Clain et Mohamed Amri ne parviendront jamais en Syrie. Après une première tentative ratée, ils restent confinés dans un hôtel en Bulgarie pendant neuf mois, avant d'être arrêtés par les autorités turques lors d'un second essai, en septembre 2016. 

Trois ans après, le discours d'Anne-Diana semble moins naïf. D'une voix douce, elle raconte à la cour son aveuglement, dit avoir "cru" dans la religion "sans la vérifier", avoir fait "confiance" à ses frères Fabien et Jean-Michel. Elle assure n'avoir ressenti aucune fierté lorsqu'elle reconnaît leurs voix dans l'enregistrement de la revendication des attestations du 13 novembre 2015 à Paris. 
 

J’avais un voile sur les yeux, pour moi ce n’était pas l’État islamique qui faisait les attentats. Je pensais que c’était un complot pour faire porter le chapeau aux musulmans. Il a fallu que j’arrive en prison pour le comprendre. Avant je pensais que les musulmans ne pouvaient pas faire ça. 

Pour moi, les médias, la télé, tout le monde, étaient des menteurs. Je n’ai pas vu la gravité. 


Moins conciliant, Mohamed Amri tient sensibliment le même discours mais nie toute radicalisation. Ce voyage vers la Syrie, il l'explique par trois objectifs : amener sa femme, qu'il dit voir "mal dans sa peau", rendre visite à sa famille installée là-bas, lui permettre de se recueillir sur la tombe de sa mère, Marie-Rosanne, morte sur place en 2015, et enfin, éventuellement ramener des membres de la famille avec eux, en France. Un séjour "d'une semaine, pas plus", assure-t-il, quand son épouse parle elle d'un départ définitif. 

L'aide financière et logistique reçue de la part de Jean-Michel Clain et donc, potentiellement, de l'État islamique ? "Je voyais ça comme une aide de la famille", affirme-t-il. 
 

Conversion

L'homme, né en Tunisie et arrivé en France à l'âge de 18 ans en 1977, nie avoir entraîné la famille Clain dans l'islam radical. Il fait la connaissance des frères Clain par le biais de sa première femme, Mme H., elle aussi d'origine réunionnaise. Ensemble, ils parlent de rap, ils débattent et en arrivent à parler de religion. La famille Clain est catholique, plutôt pratiquante.

Mais Anne-Diana, Fabien et Jean-Michel, dont le père militaire est reparti vivre à La Réunion au début des années 80, cherchent des réponses. "On a d’abord fait notre recherche spirituelle dans la religion catholique, ça n’a pas répondu à nos questions", raconte-t-elle.
 

On a commencé à chercher d’où on venait, surtout moi et mon frère Fabien. J’ai lu la Bible et j’ai eu des doutes sur la véracité de cette religion. Nous nous sommes rapprochés d’un curé pour répondre à ces questions. Mon mari nous a aidé à trouver ces réponses. Il nous a converti les uns après les autres. 


Mohamed Amri raconte ensuite que Fabien lui a demandé "comment rentrer dans l'islam". 
 

Je lui ai dit ce que disait l’islam selon moi mais que j’étais pas savant et je lui ai dit d’aller voir un savant. Je suis pour quelque chose dans la conversion, mais je ne suis pas à l’origine parce que ça voudrait dire que c’est moi qui ait fait ça. Est-ce que vous croyez que je suis assez fort pour convaincre quelqu’un qui connaît déjà bien sa religion, la religion chrétienne ?


Qu'il ait convaincu ou non les frères Clain de se convertir à l'islam, dont ils auront une pratique rigoriste jusqu'à leur mort en février 2019 lors d'une frappe de la coalition internationale en Syrie, Mohamed Amri devra désormais convaincre la justice de ses intentions avec son épouse Anne-Diana Clain lors de leur départ en Syrie. Tous deux incarcérés depuis leur arrestation, elle à Fleury-Mérogis et lui à Bois d'Arcy, ils risquent jusqu'à dix ans de prison. Le procès se tient jusqu'au mercredi 20 novembre au Palais de justice de Paris.