L'histoire de l'homme qui rêvait dans une langue polynésienne sans la connaître

Marc Liblin, Meretuini et leur fils Hiram sur l'île de Rapa en Polynésie.
Cette histoire, c'est celle d'un homme originaire des Vosges, Marc Liblin, qui rêvait dans une langue inconnue. C'est aussi celle d'une enquête sur ses traces qui dura sept ans et dont un livre publié à titre posthume par Eric Viennot et préfacé par Marie Liblin parait ce printemps.

Ils ont entamé l'investigation en 2015 pour remonter le fil d'une histoire fabuleuse. Sept années d'une enquête titanesque dans laquelle Marie Liblin s'est laissée emporter par Eric Viennot. Sept années de recherches, de rencontres et de voyages pour comprendre comment Marc Liblin a pu rêver pendant des années dans une langue qui le conduisit jusqu'à la petite ile de Rapa Iti, en Polynésie. 

Marie Liblin et Eric Viennot

Tout commence lorsque Eric Viennot, le célèbre game designer, tombe au fil de ses recherches sur une page consacrée à l'ile de Rapa en Polynésie dans l'Atlas des îles abandonnées de Judith Shalansky. L'histoire de Marc Liblin, cet homme fantasque parlant la langue locale sans l'avoir jamais apprise, le fascine. L'enquêteur en herbe contacte alors tous les Liblin qu'il trouve sur Facebook. 

"Je reçois un matin un message qui me dit 'Bonjour, est-ce que vous êtes de la famille de Marc Liblin ?' se souvient Marie Liblin. Et moi, je lui réponds tout simplement que oui, c'est un cousin de mon père." Les deux futurs amis s'appellent dans l'après-midi et la collaboration est lancée. Marie Liblin ne se pose aucune question et voit dans le projet de cet inconnu l'occasion d'en apprendre plus sur cette histoire de famille dont elle connait l'existence, mais qui reste taboue. 

On me racontait qu'il avait des rêves, qu'il entendait des voix.

Marie Liblin

"En 1970, cette histoire pouvait faire peur"

Marc Liblin est né dans la fin des années 1940 dans une petite commune des Vosges, dans l'Est de la France, dans la famille propriétaire de la fonderie locale. C'est un avenir tout tracé qui s'offre alors au petit Marc : reprendre l'affaire familiale et poursuivre une vie sans histoire comme ses parents et ses grand-parents avant lui. Un destin qui prendra une toute autre tournure lorsque des rêves étranges viennent perturber ses nuits dès l'âge de six ans. "On me racontait qu'il avait des rêves, qu'il entendait des voix", se souvient Marie Liblin, dont le grand-père aime raconter l'histoire de ce cousin fantasque.

"Mais si on se replonge dans les années 1970, cette histoire pouvait même faire peur.", reconnait la nièce de Marc Liblin. Eric Viennot et Marie Liblin ont alors un objectif : comprendre d'où viennent ces rêves fantastiques et retracer le fil de sa vie en retrouvant toutes les personnes ayant croisé sa route. "Quand il a quitté Luxeuil, il est parti à Rennes où il a rencontré des chercheurs, qui l’ont aidé à essayer de trouver quelle était cette langue, relate Marie Liblin. De mon côté, j’ai cherché, s'il avait pu arriver un accident à Marc quand il était petit. De ce qu’on m’a dit non, puisque j’ai retrouvé ses frères et sœurs."

Au fil des recherches, dans les années 1970, Marc Liblin rencontre Meretuini, une Polynésienne ayant débarqué en Bretagne. C'est alors qu'il comprend que la langue qu'il parle est issue de la toute petite île de Polynésie, Rapa Iti, où quelques cinq cents personnes résident et la parlent toujours. En 1981, le jeune couple décide de s'y rendre et d'y emménager. 

L'île de Rapa Iti où Marc Liblin et Meretuini s'installent en 1981.

La quête nuit et jour 

Pendant sept ans, tous les jours, Eric et Marie échangent leurs trouvailles. "A un moment, on apprenait vraiment des nouvelles choses tous les jours, explique Marie Liblin. Je n'arrêtais pas de chercher, ça me passionnait. C'était jour et nuit parce qu'avec la Polynésie, on est très décalés donc je faisais des recherches la journée côté métropole et la nuit pour Tahiti." Plusieurs questions se posent : les rêves de Marc ont-ils une explication rationnelle ? Qu'avait-il dévoilé aux personnes qui partageaient sa vie ? Y a-t-il d'autres cas de rêveries étranges ? 

Je n'arrêtais pas de chercher, ça me passionnait.

Marie Liblin

"Même les plus sceptiques et les plus cartésiens se laissent prendre par l’histoire parce qu’elle est belle tout simplement", raconte Marie Liblin, le sourire dans la voix. "Après, on y croit ou on n'y croit pas… mais les faits sont là !  Marc a un jour frappé à la porte de Meretuini à Rennes, il lui a parlé et elle lui a répondu en Rapa. Aujourd'hui, on connait la vraie raison", rit la petite nièce de Marc Liblin. 

Marc Liblin et Meretuini se rencontrent à Rennes avant de partir pour l'île de Rapa Iti en Polynésie.

Un projet toujours en cours

L'enquête s'arrête brutalement l'été dernier lorsque Eric Viennot, à la tête du projet, décède et laisse un vide immense pour Marie Liblin. "J'ai repris tout ça, mais ça n'a pas été facile. Je travaillais tous les jours avec lui sur le projet, donc je savais à peu près où il voulait aller, mais il ne nous a laissé aucune indication."

C'est par un documentaire qu'Eric Viennot avait d'abord imaginé la publication de cette enquête, puis une newsletter est apparue pour que les curieux suivent en temps réel l'avancée des recherches. Et puis, c'est finalement dans un livre, rassemblant les chapitres de la newsletter, que les premières conclusions paraissent. Marie Liblin en signe la préface : "Je veux continuer de faire vivre le projet dans le respect de ce qu'il a toujours fait. Et pour respecter Rapa aussi. Ce sont les principaux protagonistes de cette histoire-là, mais on veut aussi les protéger. J'espère qu'on le fait bien en tout cas, je le fais et on le faisait avec le cœur", conclut-elle non sans fierté. 

Pour avoir le fin mot de l'histoire, lisez L'homme qui rêvait dans une langue inconnue, par Eric Viennot, paru aux éditions Michel Lafon le 6 avril dans l'Hexagone. Il devrait sortir dans les prochaines semaines en Polynésie.