L’historien martiniquais Gilbert Pago réagit à son tour aux propos de François Fillon sur la colonisation, assimilée à un "partage de la culture". L’universitaire appelle à "refuser le négationnisme de l’histoire du monde, c’est-à-dire de notre histoire à toutes et à tous".
Les déclarations de François Fillon sur la colonisation continuent d’échauffer les esprits. L’ancien Premier ministre avait affirmé que la colonisation avait été "un partage de la culture" française. Lors d'une réunion publique le 28 août dernier, François Fillon avait affirmé que la colonisation avait été "un partage de la culture" française.
Après la colère des élus martiniquais, l'historien et ex-enseignant de l'université des Antilles, Gilbert Pago réagit à son tour. Dans une tribune publiée par Mediapart, intitulée Fillon, à l’aise dans le cambouis identitariste !, il adresse un cours de rattrapage d'histoire à l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy.
La1ere.fr : Vous écrivez que les propos de François Fillon montrent « l’enfermement de dirigeants politiques » qui n’accepteraient pas « un monde qui s’ouvre continument et se métisse inexorablement ». Marion Maréchal Le Pen, mais aussi Nicolas Sarkozy tiennent le même genre de propos. Que signifie pour vous ce discours qui se généralise à droite, faut-il s’en inquiéter ?
Gilbert Pago : L'Europe a inauguré la mondialisation dès le XVème siècle, a étendu plus tard les révolutions industrielles à la planète entière, a raccourci les transports entre les différents points du monde, a distribué autrement la répartition démographique avec les migrations de travail, a mélangé les modes de vie (la pizza italienne est plat de chacun de nous dans le monde entier, mais c'est le cas pour la choucroute, la paëlla, le couscous, le sushi, le nem, la cuisine indienne, etc.). Il en est de même pour les événements sportifs (J.O, Coupes du monde), culturels, religieux.
De tout cela, certains y voient un titre de fierté et en même temps on trouve des gens qui veulent croire qu'ils peuvent arrêter cette marche du monde vers l'ouverture, le mélange, le métissage (Edouard Glissant dirait : la créolisation). Les politiques tant de droite que de gauche qui parlent de danger, ne cherchent que la mort de l'humanité qui ne pourra s'épanouir qu'en s'ouvrant. L'ouverture, c'est la vie, c'est le renouvellement et l'enrichissement biologique, culturel, social.
A la colonisation vue par François Fillon comme un "partage de la culture" française, vous opposez "une entreprise de domination", des navigateurs marchands jusqu’à Jules Ferry. Pourquoi ?
La colonisation a été un fait historique dont il faut tirer les conséquences. Si elle a suscité tant de résistances, de mouvements de libération, de recompositions géopolitiques depuis l'indépendance des USA au XVIIIème siècle, l'indépendance d'Haïti en 1804, les libérations de l'Amérique du sud, les dizaines d'abolition de l'esclavage de 1793 à 1886 au Brésil, les indépendances d'avant 1939 et la vague de décolonisation d'après 1945, c'est que la face du monde exigeait cette mutation sur déjà deux siècles et demi.
Ce n'était pas un partage de culture, c'était un choc, un trauma quant à la conquête de richesses, de marchés et de main d’œuvre et de destruction d'êtres humains, de civilisations et de biens matériels.
L’ancien Premier ministre voit l’enseignement de l’histoire comme un roman national et refuse de faire "douter de notre histoire". Quel est votre point de vue en tant qu’enseignant ?
L'histoire nationale tant du côté des vainqueurs (les conquérants) que du côté des vaincus (les colonisés) a ceci de dangereux qu'elle ne sert qu'à valoriser l'évènement dit glorieux (les grands Hommes - d'ailleurs peu de grandes femmes- et les faits militaires ou exceptionnels). On ne voit pas la trace des peuples, leurs aptitudes à résoudre les problèmes posés au collectif et les solutions pour les changer.
Les vainqueurs exaltent leur puissance en masquant leurs crimes et leurs échecs. Les vaincus auraient tort de ne montrer que leurs ressentis. Si bien entendu, je soutiens d'abord la lutte des vaincus, je revendique pour eux la place incontestable et irrémédiable au partage de la destinée humaine. Il faut douter de son histoire non pour la dévaloriser, mais pour la mettre au pas de la marche de de la conscience humaine. C'est la meilleure manière de la valoriser.
Après la colère des élus martiniquais, l'historien et ex-enseignant de l'université des Antilles, Gilbert Pago réagit à son tour. Dans une tribune publiée par Mediapart, intitulée Fillon, à l’aise dans le cambouis identitariste !, il adresse un cours de rattrapage d'histoire à l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy.
La1ere.fr : Vous écrivez que les propos de François Fillon montrent « l’enfermement de dirigeants politiques » qui n’accepteraient pas « un monde qui s’ouvre continument et se métisse inexorablement ». Marion Maréchal Le Pen, mais aussi Nicolas Sarkozy tiennent le même genre de propos. Que signifie pour vous ce discours qui se généralise à droite, faut-il s’en inquiéter ?
Gilbert Pago : L'Europe a inauguré la mondialisation dès le XVème siècle, a étendu plus tard les révolutions industrielles à la planète entière, a raccourci les transports entre les différents points du monde, a distribué autrement la répartition démographique avec les migrations de travail, a mélangé les modes de vie (la pizza italienne est plat de chacun de nous dans le monde entier, mais c'est le cas pour la choucroute, la paëlla, le couscous, le sushi, le nem, la cuisine indienne, etc.). Il en est de même pour les événements sportifs (J.O, Coupes du monde), culturels, religieux.
De tout cela, certains y voient un titre de fierté et en même temps on trouve des gens qui veulent croire qu'ils peuvent arrêter cette marche du monde vers l'ouverture, le mélange, le métissage (Edouard Glissant dirait : la créolisation). Les politiques tant de droite que de gauche qui parlent de danger, ne cherchent que la mort de l'humanité qui ne pourra s'épanouir qu'en s'ouvrant. L'ouverture, c'est la vie, c'est le renouvellement et l'enrichissement biologique, culturel, social.
A la colonisation vue par François Fillon comme un "partage de la culture" française, vous opposez "une entreprise de domination", des navigateurs marchands jusqu’à Jules Ferry. Pourquoi ?
La colonisation a été un fait historique dont il faut tirer les conséquences. Si elle a suscité tant de résistances, de mouvements de libération, de recompositions géopolitiques depuis l'indépendance des USA au XVIIIème siècle, l'indépendance d'Haïti en 1804, les libérations de l'Amérique du sud, les dizaines d'abolition de l'esclavage de 1793 à 1886 au Brésil, les indépendances d'avant 1939 et la vague de décolonisation d'après 1945, c'est que la face du monde exigeait cette mutation sur déjà deux siècles et demi.
Ce n'était pas un partage de culture, c'était un choc, un trauma quant à la conquête de richesses, de marchés et de main d’œuvre et de destruction d'êtres humains, de civilisations et de biens matériels.
L’ancien Premier ministre voit l’enseignement de l’histoire comme un roman national et refuse de faire "douter de notre histoire". Quel est votre point de vue en tant qu’enseignant ?
L'histoire nationale tant du côté des vainqueurs (les conquérants) que du côté des vaincus (les colonisés) a ceci de dangereux qu'elle ne sert qu'à valoriser l'évènement dit glorieux (les grands Hommes - d'ailleurs peu de grandes femmes- et les faits militaires ou exceptionnels). On ne voit pas la trace des peuples, leurs aptitudes à résoudre les problèmes posés au collectif et les solutions pour les changer.
Les vainqueurs exaltent leur puissance en masquant leurs crimes et leurs échecs. Les vaincus auraient tort de ne montrer que leurs ressentis. Si bien entendu, je soutiens d'abord la lutte des vaincus, je revendique pour eux la place incontestable et irrémédiable au partage de la destinée humaine. Il faut douter de son histoire non pour la dévaloriser, mais pour la mettre au pas de la marche de de la conscience humaine. C'est la meilleure manière de la valoriser.