Cette épidémie, n'est pas une première. C'est l'histoire de la Gross Michel disparue dans les années 60 qui se répète. Face à l'inconstance des acteurs économiques de l'époque, face à la menace qui plane maintenant sur la Cavendish, le professeur Gert Kema ne décolère pas. Depuis son bureau du laboratoire de phytopathologie, section Génie Agricole de l'Université de Wageningue aux Pays-Bas, il déclare : "quand la Gross Michel a disparu, la Cavendish n’a pas tout de suite été adoptée. Il a fallu 20 ans pour qu’elle s’impose (...) l'industrie l’a adoptée, car elle pousse sur des sols infestés (par le FOC 1 NDLR) sans aucun problème"
Du point vu des industriels de l’époque, le problème était alors résolu. Personne n’a anticipé qu’il se produise la même chose pour la Cavendish. Les investissements nécessaires dans la recherche n’ont pas été faits, à l'inverse d'autres productions agricoles. Concernant le blé. 1200 gènes impliqués dans la résistance ont ainsi été identifiés. Pour la banane, cinq à peine sont connus.
La maladie de la Cavendish est apparue à Taïwan en 1968. Puis, elle s'est propagée en Océanie, Asie, Moyen-Orient et en Afrique. En 2020, Mayotte est touchée par l'épidémie. Le champignon est dans le sol des plantations de Koungou, Poroani et Bouéni. En 2023, 22 pays sont confrontés au champignon et les Antilles sont menacées.
Ce champignon, le Foc4, attaque les vaisseaux conducteurs de sève du bananier. Il provoque un jaunissement des feuilles, en commençant par les jeunes pousses. À l'intérieur du pseudo-tronc, les tissus se nécrosent. Systématiquement, le plant meurt.
Le champignon se propage dans les eaux d'irrigation, de drainage ou de ruissellement. Il se déplace avec les particules de terre contaminées collées aux outils, aux chaussures, aux animaux et aux véhicules. Il voyage porté par les vents. Persistant dans les sols contaminés pendant plus de trente ans, il est une menace pour un grand nombre de variétés de bananes.
La recherche envisage donc toutes les possibilités pour ralentir l'épidémie et donner à la science, le temps de trouver la parade. Comprendre le mal et le combattre, ce sont les objectifs que se sont fixés les membres de l'équipe du professeur Gert Kema.
Nous avons décodé le génome de beaucoup de Fusarium, le Foc4 n'est pas la mutation d'un autre Fusarium existant. C'est une espèce d'origine indonésienne qui se répand dans le monde. Notre stratégie : ralentir l'épidémie autant que possible et parallèlement développer de nouvelles variétés de bananes.
Gert Kema
Autour de l'université de Wageningue aux Pays-Bas, c'est la "Food Valley". Un tissu de start-up spécialisées dans les sciences de l'agroalimentaire. Parmi elles, la société KeyGene et les travaux sur la généalogie de la banane menés par Fernando Garcia-Bastidas, Docteur en Biologie Végétale.
Dans les serres, l'environnement tropical est contrôlé par ordinateur et les bananiers sont protégés par des drones qui tuent les insectes. Le docteur Garcia-Bastidas trouve dans cette collection le matériel utile à ses recherches.
Nous avons identifié les ancêtres de la Cavendish. Nous utilisons ce groupe parce que les fruits sont au gout du consommateur, mais la plante est vulnérable (au Foc4 ndlr). C’est pourquoi nous utilisons d'autres groupes de bananes, qui sont résistants, afin d’introduire ce caractère de résistance dans le groupe des Cavendish et ainsi créer une nouvelle variété résistante.
Fernando Garcia-Bastidas, docteur en Biologie Végétale.
Travailler dans une serre est plus rapide, car toutes les variétés sont regroupées. C'est certes beaucoup de logistique, mais cela permet de faire des croisements quasiment tous les jours. "Nous disposons en permanence de plants en floraison. Nous utilisons le séquençage génétique et des marqueurs moléculaires pour effectuer les croisements retenus", précise Fernando Garcia-Bastidas.
Ces marqueurs moléculaires sont comme des tests de paternité. Ça veut dire qu'avec un petit bout de feuille, l'ADN est testé immédiatement et la résistance au champignon est visible. Pas besoin d'attendre, le résultat est constaté avant même que le bananier soit complètement développé.
Leur conclusion commune est de se concentrer sur le décodage du génome de la banane et d’envisager pour la culture à grande échelle une diversification des souches résistantes cultivées pour éviter le risque d’une autre épidémie.