La gastronomie créole mise à l'honneur à l'Hôtel de la Marine

À l'Hôtel de la Marine, les salons qui vont accueillir les ateliers du Cordon Bleu - dont ceux de cuisine créole - ont été en travaux plusieurs mois.
La cheffe cuisinière guadeloupéenne Babette de Rozières donnera à partir de début novembre des ateliers de gastronomie créole au sein d'une toute nouvelle école de cuisine ouverte au grand public, située dans l'Hôtel de la Marine, l'un des lieux historiques les plus prestigieux de Paris où fut élaboré le décret d'abolition de l'esclavage.

Imaginez, en plein cœur de Paris, sous des moulures ciselées et dorées et de gigantesques chandeliers qui font penser à Versailles, vous apprenez à faire une cuisse de poulet mariné au citron vert en colombo traditionnel ou un chodo guadeloupéen (boisson chaude et gourmande, NDLR) aux parfums de cannelle, de muscade, et de vanille ?

Ce sera bientôt possible chaque semaine à partir de début novembre à l'Hôtel de la Marine. Situé place de la Concorde, l'ancien garde-meubles royal a été le siège de la Marine nationale à partir de la Révolution française. C’est aussi là, dans son bureau de sous-secrétaire d’État aux Colonies, que Victor Schœlcher a préparé le décret d'abolition de l'esclavage, adopté le 27 avril 1848.

Près de deux siècles après, l'édifice, désormais propriété du Centre de monuments nationaux (CMN), a été rénové et peut se visiter mais pas seulement. "L’Hôtel de la Marine est un lieu consacré à l’art de vivre à la française, assure Philippe Bélaval, président du CMN de 2012 à janvier 2023 qui a œuvré à la restauration du site et à son ouverture au public. C'était donc indissociable de la gastronomie."

Mais comment mettre en valeur cette gastronomie au-delà d'un café et d'une brasserie ? C'est là que Babette de Rozières "a milité inlassablement" pour ouvrir une école de cuisine, raconte l'ex-président du CMN.

Cette dernière se souvient des arguments qu'elle avait avancés à l'époque. "Sans la Marine, qu'est-ce qu'on a dans nos assiettes [dans l'Hexagone] ? Rien du tout !, s'exclame-t-elle. C'est grâce à la Marine qu'on a la tomate, qu'on a le riz, qu'on a la vanille, qu'on a la cannelle, qu'on a des pommes de terre, qu'on a tout."

"La plus belle récompense"

Après des réflexions et des échanges, le Centre des monuments nationaux décide de lancer un appel d'offres, finalement emporté par Le Cordon Bleu. Il s'agit d'un des plus grands et anciens réseaux internationaux d'art culinaire, qui compte 35 instituts à travers le monde et dont sortent 20.000 étudiants diplômés chaque année.

Le Cordon Bleu Paris a été fondé en 1895. Aujourd'hui situé dans le XVe arrondissement, il fait partie d'un réseau de 35 campus "Le Cordon Bleu" répartis dans le monde.

À l'Hôtel de la Marine donc, des chefs de ce prestigieux réseau culinaire présenteront dès cet automne des démonstrations et des ateliers culinaires à tous, adultes et adolescents. Parmi la vingtaine de cours proposés, il y aura chaque mercredi une masterclass de cuisine créole, à partir du 8 novembre prochain.

Là encore, c'est Babette de Rozières qui a insisté auprès d'André Cointreau, le président du Cordon Bleu, pour avoir des ateliers de gastronomie créole à l'Hôtel de la Marine, un endroit pour elle "magique" et doublement "symbolique", avec l'histoire des épices et celle de l'abolition.

"Quand [M. Cointreau] m'a dit : 'Babette, vous aurez votre cuisine créole à l'école du Cordon Bleu...' Ce jour-là, c'était pour moi la plus belle récompense de ma vie, se souvient-elle, les larmes aux yeux. C'est la continuité du combat que je mène, l'Outre-mer, parce que personne ne s'occupe de l'Outre-mer."

"Cette cuisine créole mérite d'être mieux mise à l'honneur, elle fait partie quand même de la richesse du patrimoine culinaire français, confirme Eric Briffard, chef d'établissement et directeur des arts culinaires du Cordon Bleu Paris. Et là, Babette sera une véritable ambassadrice."

Babette de Rozières et Eric Briffard, le directeur des arts culinaires du Cordon Bleu Paris, dans l'institut situé dans le XVe arrondissement.

De la Caraïbe à Tahiti

C'est en effet la Guadeloupéenne qui a concocté les recettes pour les cours. Des recettes créoles au sens large : "C'est l'ensemble des neuf territoires." Il y aura en effet la Caraïbe avec des gambas en fricassée safranée aux petits dombrés (boulettes de farine cuites dans une sauce très goûteuse, NDLR), la Polynésie avec de la daurade royale marinée à la tahitienne, ou encore une petite touche de La Réunion avec une blanquette d’espadon mariné au massalé indien, et crème de coco au combawa.

Pour Eric Briffard qui l'a lui-même pratiquée, "c'est une cuisine très intéressante pour la bonne raison que c'est vraiment une cuisine qu'on peut refaire à la maison". À condition d'avoir observé quelqu'un qui la maîtrise : "Si on n'a pas vu faire [une recette créole], on ne peut pas la réaliser", assure-t-il. Car c'est une gastronomie "qui paraît simple", mais qui "prend toute sa mesure dans la justesse des équilibres et la justesse des épices".

Babette de Rozières prépare des gambas à la sauce safranée créole dans la cuisine de son restaurant à Maule (Yvelines).

La cheffe cuisinière donnera elle-même une partie des masterclasses, et en son absence, les chefs du Cordon Bleu qu'elle a formés prendront le relais. Au milieu de l'Hôtel de la Marine où se mêlent visites touristiques, expositions et spectacles artistiques en tout genre, le chef d'établissement du Cordon Bleu Paris a un objectif : "Humblement, on essayera d'apporter notre pierre à ce bel édifice pour faire des notes de cuisine, et des notes de cuisine créole.