C'était une volonté d'Emmanuel Macron en 2017 alors qu'il n'était encore que candidat à la présidence de la République : créer "la première institution culturelle dédiée à la langue française" ouverte à tous.
Six ans plus tard et avec plus de 210 millions d'euros investis, destinés notamment à la restauration du château de Villers-Cotterêts (Aisne), le site est officiellement inauguré ce lundi 30 octobre par le chef de l'État.
En état de délabrement lors de la visite du candidat Macron, ce château de la Renaissance fut le lieu où François Iᵉʳ prit l'ordonnance de 1539 dite de Villers-Cotterêts, présentée dans l'exposition permanente. Cette loi fit du français la langue officielle pour tous les actes administratifs et juridiques du royaume.
"Le français devient alors par cette ordonnance la langue de nos lois, de nos textes, la langue de la justice, et elle devient alors symboliquement et réellement ouverte à la compréhension de tous et non plus réservée aux clercs et aux lettrés, retrace le président de la République dans son discours. Durant cinq siècles, le français s'est imposé progressivement jusqu'à sa consécration en 1992 dans notre constitution."
Des langues "régionales" à préserver
Emmanuel Macron a par ailleurs insisté sur la langue française comme "ciment" qui "bâtit l'unité de la nation" : "La langue française nous rassemble dans notre unité et notre diversité à travers les voyelles des Parisiens, les inflexions chantantes des Outre-mer, les A du nord qui s'arrondissent en O [...]."
Il a cependant reconnu que les 72 langues régionales dont "les parler romans ou créoles, les langues kanak, polynésiennes" font partie de la France :
Toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité. C'est pourquoi je veux que nos langues régionales soient encore mieux enseignées et préservées, qu'elles trouvent leur place dans l'espace public, en un juste équilibre entre leur rôle d'ancrage de langue régionale et le rôle essentiel de cohésion de la langue nationale.
Emmanuel Macron
Presque toutes les langues ultramarines font d'ailleurs partie du parcours de visite, du créole réunionnais au xaragurè (l’une des 28 langues kanak) en passant par l’aluku guyanais. Elles représentent les deux tiers des 72 langues régionales officiellement reconnues en France.
"Beaucoup ne les connaissent pas"
Néanmoins, seulement une salle est consacrée à l'ensemble de ces idiomes. Interrogé par Outre-mer la 1ère sur ce point, Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française, a répondu : "Pour les langues ultramarines, pour les langues régionales, on en parle, on les évoque, et on donne surtout envie d'aller beaucoup plus loin. Moi, je veux qu'on entende ici les langues ultramarines, je veux qu'on les découvre même, parce que beaucoup ne les connaissent pas."
Retrouvez ici le reportage d'Outre-mer la 1ère :
"Vous pouvez les découvrir grâce aux luminaires sonores des langues régionales, qui diffusent chacun à leur tour une langue issue d’une région du territoire français, tandis que celle-ci s’éclaire sur une carte monumentale, explique le communiqué de presse, afin de montrer toute la richesse apportée par les langues régionales au français. De plus, l’emploi de ces langues s’étend parfois au-delà des frontières de leur région d’origine : il suffit de penser aux très nombreux Martiniquais ou Guadeloupéens vivant en métropole, et utilisant couramment le créole dans leur vie quotidienne."
Mais le chef de l'État a cependant été clair sur le fait que le français reste LA langue de la République : "Nous avons besoin de toutes ces langues et d'une langue qui soit la même, de Lille à Nouméa, de Marseille à Pointe-à-Pitre, pour nous sentir appartenir à la même entité nationale en nos différences, nous avons besoin du français pour former la France."
"Un apport considérable de l'Outre-mer"
Au-delà des langues en tant que telles, l'exposition évoque l'histoire du français, sans oublier d'aborder ses pages peu glorieuses, notamment la façon dont il s'est imposé par la force dans les colonies avec l'enseignement scolaire.
Elle retrace aussi ses victoires avec des auteurs ultramarins qui sont mis à l'honneur, à l'image d'Edouard Glissant ou d'Aimé Césaire, dont un extrait a d'ailleurs été lu par des sociétaires de la Comédie-Française avant le discours d'Emmanuel Macron.
Dans l'extrait ci-dessus, ce dernier mentionne le penseur martiniquais, mais aussi Maryse Condé ou Léopold Sédar Senghor grâce à qui "a été fondée la possibilité morale de dissocier l'opprobre des colonies et la beauté du français".
Le chef de l'État s'est en effet arrêté un temps sur la question des colonies, saluant la grande force de ses habitants qui ont pris "à leur compte la langue des dominateurs", l'ont "domin[ée] à leur tour, en la possédant" et l'ont "retourn[ée] en outil d'émancipation".
C'est la métaphore de Toussaint-Louverture, enfant de la colonisation et de l'esclavage, émancipé par la République qui se retourne contre l'Empire quand il veut revenir sur la colonisation [...]. Il est la métaphore de ce chemin de la langue de la colonisation à la décolonisation.
Emmanuel Macron
"C'est dans cette langue française que s'est exprimée une exigence d'émancipation, insiste de son côté Xavier North, commissaire général du parcours permanent, auprès d'Outre-mer la 1ère. Il y a un apport considérable de l'Outre-mer, par les littératures ultramarines de langue française aux littératures d'expression française et à l'illustration de cette langue monde."
Alexandre Dumas à l'honneur
Un autre écrivain d'origine antillaise est mis à l'honneur : Alexandre Dumas. Originaire de Saint-Domingue par son père, il est en effet né à Villers-Cotterêts en 1802. C'est d'ailleurs pour rencontrer ce monstre de la littérature qu'un autre auteur antillais, Daniel Picouly, est venu à cette inauguration.
"Moi je suis un enfant de Dumas, et ici à Villers-Cotterêts, on est chez Dumas, et moi j'ai rendez-vous avec le fantôme d'Alexandre Dumas, scande le lauréat du prix Renaudot en 1999 et Martiniquais par son père. Parce que Dumas est quelqu'un de très très singulier dans la littérature. Il est quarteron comme moi [...] et quand on remonte ses origines, on se retrouve à Saint-Domingue, son père était mulâtre, son grand-père était noir et comme il disait 'Mon arrière-grand-père était nègre', et comme il disait à quelqu'un qui se moquait de lui 'Vous voyez ma famille a fini là où la vôtre a commencé'. Voilà c'était ça Dumas !"
Ce château de Villers-Cotterêts ne se veut d'ailleurs pas un simple musée mais un lieu de vie culturel, où Daniel Picouly y lira La faute d'orthographe est ma langue maternelle, le 11 novembre prochain. Des résidences d'artistes et spectacles par exemple y sont d'ores et déjà programmés jusqu'à l'été prochain.