À l'heure où les écoliers français s'apprêtent à reprendre le chemin de l'école, une question taraude les représentants des enseignants : y aura-t-il un professeur devant chaque classe à la rentrée ? Emmanuel Octavie en doute fortement. Professeur de biotechnologies à Cayenne, il est également secrétaire académique du syndicat SE-Unsa de Guyane. Dans son département, "on doit faire face à un manque chronique d'enseignants", se lamente-t-il.
Avec celle de Mayotte, de Versailles et de Créteil, son académie est une des seules à ne pas avoir réussi à recruter le nombre d'enseignants suffisants par rapport au nombre de postes qui étaient ouverts pour la rentrée 2023. Sur 255 titulaires que l'Éducation nationale espérait embaucher en Guyane, seuls 95 ont été retenus. Les autres n'ont pas réussi le concours externe de recrutement des professeurs des écoles. "Une hécatombe", juge le représentant syndical guyanais, alors que 160 professeurs des écoles manquent à l'appel. À Mayotte, ce sont au moins une quarantaine qui n'ont pas été pourvus.
"À la rentrée 2023/2024, l'académie de la Guyane continuera à faire appel à des contractuels en plus grand nombre pour dispenser des enseignements et leur part, qui tourne aux alentours de 30% des effectifs, continuera à croître", résume, dépité, Pascal Briquet, secrétaire régional du syndicat UNSA Éducation Guyane.
La grande désertion des enseignants
Cette crise de recrutement dans les deux départements ultramarins est un phénomène relativement récent. Elle a commencé en Guyane l'année dernière, alors que la pénurie de professeurs des écoles touchait l'ensemble de la France. En 2022, un peu moins de la moitié des postes dans les écoles maternelles et élémentaires guyanaises avaient trouvé preneur. Pour la rentrée qui arrive, le déficit s'aggrave, avec seulement 37% des postes pourvus. Pour Mayotte, qui avait réussi à recruter suffisamment de titulaires en 2022, le grand écart est douloureux : seuls 72% des postes ont été pourvus cette année. "La rentrée 2023 sera pire qu'en 2022", prédit Emmanuel Octavie.
Les deux académies n'ont donc pas le choix : elles devront avoir recours à des contractuels pour éviter la chaise vide face aux écoliers. Ces enseignants, recrutés en CDD, sont souvent sous-formés et sous-rémunérés. Une "main d'œuvre corvéable – qui doit accepter tout type de poste sur le territoire, quelles que soient les conditions matérielles, d'hygiène... – et peu chère", dénonce Suley Jaïr, co-secrétaire départementale de la FSU-SNUipp Guyane. "Nous subissons une éducation à moindre coût en Guyane", critique-t-elle.
Les syndicats s'accordent d'ailleurs à dire que certains territoires ultramarins souffrent d'un manque croissant d'attractivité.
Les collègues travaillent dans des conditions d'hygiène et de sécurité inadmissibles. Et c'est dans des établissements surchargés qu['ils] se voient exercer, sans qu'aucun moyen matériel ou humain ne leur soit donné.
Suley Jaïr, co-secrétaire départementale de la FSU-SNUipp Guyane
Dans l'académie de Guyane, seulement 401 personnes se sont portées candidates pour 255 postes ouverts, soit moins de deux candidats pour un poste de professeur. Dans la plupart des autres académies françaises, le nombre d'inscrits est largement plus élevé que le nombre de places disponibles : à Aix-Marseille, on comptait cinq inscrits pour un poste de titulaire en 2022, 10 à Bordeaux, voire 16 en Corse... En Outre-mer, c'est la grande désertion.
"École en sous-France"
Pour Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU au niveau national, les conditions d'enseignement en Outre-mer ne sont pas idéales, expliquant la pénurie chronique de professeurs dans les écoles. "On est très alerté sur les conditions d’enseignement dans les DROM". Sur Facebook, son syndicat a lancé un groupe appelé "École en sous-France" où sont recensés l'ensemble des problèmes que rencontrent les établissements scolaires des départements et régions d'Outre-mer.
Insalubrité, insécurité, bâti décrépi, coupures d'eau, accessibilité compliquée... Les Outre-mer cumulent les difficultés pour les enseignants. Et en plus de la complexité d'attirer des titulaires, les CDD, eux, rechignent à rester. "On a un turnover important des contractuels. On va avoir un nombre de contractuels à la rentrée, puis un mois après, il va falloir en recruter d’autres puisque certains auront abandonné. Puis c’est continuel dans le courant de l’année", dit Guislaine David.
Il y a une inégalité de traitement des élèves sur le territoire parce qu’ils n’ont pas les mêmes enseignants et les mêmes personnels en face.
Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU
"L'UNSA Éducation demande (...) de se mettre autour de la table pour pouvoir faire des propositions ambitieuses et réalistes en vue de mettre l'école en Guyane dans la meilleure voie pour de meilleures conditions de travail des personnels, et à la clé la réussite d'un plus grand nombre d'élèves et d'étudiants", avance Pascal Briquet. "Il y a urgence à investir massivement dans l'école", presse quant à elle Suley Jaïr.
Interrogés sur la présence, ou non, de professeurs des écoles dans toutes les classes à la rentrée, le ministère de l'Éducation et l'académie de Guyane n'ont pas répondu pour l'instant à nos sollicitations.
L'académie de Mayotte nous a pour sa part indiqué qu'"à ce jour, 1,5% des postes sont encore à pourvoir soit 40 sur 3.500, dont les recrutements sont en cours".