C'est au sous-sol du Palais des Festivals de Cannes que la magie opère pour les acteurs du monde économique du 7ᵉ art. Distributeurs et producteurs occupent des stands et enchainent les rendez-vous avec des réalisateurs venus vendre leur projet. Parmi eux, l'équipe du film "Cut me if you can". Pour l'heure, il s'agit d'un court-métrage, mais c'est le projet de long qu'ils espèrent vendre. Le Martiniquais, Nicolas Polixène en est l'un des réalisateurs. "Dès le départ, on avait imaginé le film sur le long terme, explique le réalisateur. C'était évident que ce serait un long-métrage, avant même de tourner le court, on avait déjà écrit le long."
"Proof of concept"
"Le nerf de la guerre, on cherche de l'argent !", lancent les réalisateurs. La manière de vendre "Cut me if you can" est plus courante aux États-Unis qu'en France, où une partie de l'équipe vit. C'est le "proof of concept" expliquent-ils, preuve du concept en français. Cela permet de faire comme un "coup d'essai", à moindres frais, pour prouver aux potentiels producteurs que le projet fonctionne et qu'ils doivent investir dedans. "Le court-métrage est une grosse démo pour rassurer les investisseurs, leur montrer l'idée, poursuit Nicolas Polixène. Comme c'est quelque chose de très spécial qui sort des codes, quand ils regardent le court-métrage, ils se disent 'Ok, je vois clairement ce qu'ils veulent, je vois leur univers'."
Preuve que leur concept fonctionne, le court métrage a en plus déjà reçu de nombreuses distinctions en festival, argument de plus pour les financiers. Le court-métrage a été réalisé avec une société de production américaine et sans argent public français, c'est le modèle que les réalisateurs cherchent à reproduire pour le développement de la version longue, sans pour autant perdre le dernier mot artistique, si unique.
5 millions de dollars
L'équipe est bien décidée à repartir avec l'argent nécessaire pour lancer le projet. "Je pense que c'est un film qui va se tourner aux alentours des 5 millions de dollars.", estime la productrice et actrice principale Djaka Souaré. On est en conversation avec des distributeurs assez sérieux. On ne sait pas du tout où ça va prendre, donc on fait monter la mayonnaise et un jour, on aura le produit fini et on sera si heureux !" Deux, cinq ou dix ans : sur l'échéance de tournage, aucune idée, mais "le film existera !", promet Nicolas Polixène.
Cannes pour vendre son film, c'est the place to be. "C'est très bien de pouvoir être à Cannes, tout le monde est là, les acheteurs, les distributeurs… se prend à rêver Nicolas Polixène. On a fait des super rencontres donc on espère que tout ça va aboutir et qu'on pourra partager ce long avec le public très rapidement." Un moment inespéré de rencontrer tous les acteurs importants. Les cinq amis débarquent en famille devant les potentiels investisseurs : "Ça donne envie aux gens de faire partie de la bande", estime Sylvain Loubet, le second réalisateur.
"Ça ne brime pas la créativité de se dire qu'on n'a pas beaucoup de budget, estime-t-il encore. Au contraire, si on nous avait dit qu'on avait 300 millions de dollars, je ne sais pas si on aurait écrit cette histoire. On se serait dit : on ne va pas se prendre la tête, on va tourner là et là. Là, c'était tout le contraire, c'était de se dire : il faut être malin." Ils s'accordent cependant à dire que rien ne les a pas formés à se vendre. Plus que son projet, c'est une vision, une personnalité que les producteurs recherchent.
Mi-horreur, mi-comédie
Un film qui ne ressemble à aucun autre : c'est le slogan de l'équipe. "Ça peut paraitre prétentieux, mais dans son histoire, il est assez unique, il est moderne, il s'inscrit dans tous les questionnements de la société, ça parle notamment d'émancipation, poursuit Sylvain Loubet. Notre façon de faire c'est vraiment de mixer ce côté grand public, accessible et toujours avec un message. C'est l'horreur, mais avec aussi beaucoup de comédie." Et c'est atrocement bien réussi avec des scènes loufoques d'une bimbo, Michelle, qui se rebelle contre le scénario archisexualisant du film d'horreur dans lequel elle joue.
"Michelle, j'avais l'impression de la connaitre, poursuit Djaka Souaré. En tant que comédienne sujette à des auditions, on essaye tout le temps de me mettre dans des cases, des carcans, des stéréotypes racisés et sexualisés." L'empreinte américaine de la production est résolument visible tout au long du court-métrage, et le sera assurément dans le futur long. "Notre film casse le quatrième mur, explique Nicolas Polixène. En déréglant le film, le film devient lui-même un personnage, il ne veut pas que les personnages puissent s'enfuir. Il représente un peu le système. On veut montrer que la vie n'est pas écrite et que ce qui doit arriver, c'est uniquement entre tes mains." Le destin de "Cut me if you can", en tout cas, est bel et bien entre les mains de l'équipe.