Le monde de la danse classique s'attaque au manque de diversité en son sein

Des danseuses de l'Opéra de Paris, en 2018.
À l'Opéra de Paris, un manifeste publié fin septembre demande une meilleure lutte contre les discriminations raciales au sein de l'institution. Dans toutes les compagnies de ballet françaises, on constate ce manque de diversité sur scène. 
“À travers le présent manifeste, nous avons souhaité faire sortir la question raciale du silence qui l’entoure au sein de l’Opéra de Paris”. Avec ces mots, Guillaume Diop, Letizia Galloni, Jack Gasztowtt, Awa Joannais et Isaac Lopes Gomes, danseurs à l’Opéra de Paris, affichent leur objectif : aborder enfin frontalement la question de la diversité dans la compagnie. Le manifeste, intitulé De la question raciale à l’Opéra de Paris et sorti fin septembre, a été signé par 400 salariés de l’institution. Environ un quart des effectifs.
 
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Photo : Guillaume Diop, Letizia Galloni, Jack Gasztowtt, Awa Joannais et Isaac Lopes Gomes.

La démarche est une première dans la prestigieuse compagnie de danse parisienne, où l’on compte très peu de danseurs et danseuses noires, et où l’on a encore bien du mal à le reconnaître, selon Amélie Bertrand, fondatrice de Danses avec la plume, un site spécialisé sur la danse.

“Il y a toujours eu quelques danseurs de couleur dans le ballet de l’Opéra de Paris, explique-t-elle. Jean-Marie Didière par exemple, ou Raphaëlle Delaunay dans les années 80. Mais c’est vrai qu’il y en avait très peu. Et quand on parlait du manque de diversité dans la compagnie, certains pouvaient répondre “Mais bien sûr qu’il n’y a pas de problème, regardez Jean-Marie Didière et Raphaëlle Delaunay”... donc en citant les deux seuls danseurs issus de la diversité en trente ans !”
 

Un changement qui part des écoles de danse

Une situation qui évolue depuis le début des années 2000, comme le notent dans leur manifeste les danseurs noirs de l’institution : “L’Opéra comporte désormais dans ses rangs artistiques, techniques et administratifs des personnes de couleur”.

Pour Amélie Bertrand, ce changement est très lent à mettre en place, car tout part des bancs des écoles de danse, où les enfants racisés sont peu nombreux. Hors, c’est dans ces écoles que les grandes compagnies de ballet recrutent leurs danseurs. Une forme d’autocensure, qui s’expliquerait par des raisons sociales, pas forcément propres à la danse selon la journaliste. Mais aussi causée par un manque de visibilité des artistes noirs, et donc l’absence de “modèles” auxquels s’identifier.
 

C’est vrai que quand vous ne voyez pas de danseurs noirs et que vous êtes un enfant noir, vous ne vous dites pas forcément que le ballet est votre place. 

 

Des préjugés encore tenaces sur scène

Sur scène aussi, certains préjugés sont encore tenaces. Et d’autant plus à l’encontre des femmes plutôt que des hommes, d’après Amélie Bertrand. En cause : les “actes blancs”, ces passages de ballets classiques où les danseuses forment un ensemble homogène. “Dans les compagnies, en France et en Europe, certains peuvent penser que des danseuses noires dans un acte blanc c’est problématique, c’est une gêne visuelle. Ce n’est pas une pensée majoritaire, mais elle existe.”
 
Photo : un exemple d'acte blanc dans le ballet La Bayadère, dansé par les ballerines de l'Opéra de Paris.

Dans leur manifeste, les danseurs de l’Opéra de Paris demandent donc plus de fermeté dans la lutte contre la discrimination raciale dans leur compagnie : “Des pratiques problématiques persistent, certains discours discriminatoires pourraient être combattus avec davantage d’efficacité et nos puissances artistiques manquent encore de diversité” affirment-ils.

Une requête à laquelle la direction de l’institution semble être réceptive. Le nouveau directeur de l’Opéra, Alexander Neef, a lancé une mission à ce sujet dont les conclusions seront rendues mi-décembre.
 

Plus de visibilité pour les danseurs noirs aux Etats-Unis

Si en France, et plus largement en Europe de l’Ouest, le chemin vers davantage de diversité dans les compagnies de danse classique est encore long, aux États-Unis la situation est différente. “Il y a eu tout un phénomène de création de compagnies noires dans les années 70, analyse Amélie Bertrand, comme le Dance Theater of Harlem ou la compagnie Alvin Ailey, qui donnent de la visibilité aux danseurs noirs.”

En 2015, la nomination de Misty Copeland au grade de danseuse Étoile de l’American Ballet Theater avait également été fortement médiatisée, la jeune femme étant la première ballerine noire à décrocher ce titre. 
 
Vidéo : la danseuse Etoile américaine Misty Copeland danse Le lac des cygnes.

En France, aucune danseuse, ni danseur, noir n’est - pour l’instant - arrivé tout en haut de la hiérarchie du ballet.