"En chaque être/Une âme corail/ "émotion insulaire"/Monde ici cité". Ainsi commence Ton âme corail, le nouveau recueil de poésie du célèbre auteur kanak Denis Pouwara. Ces textes reflètent plus de quinze ans de réflexions autour de la forme poétique et de rencontres universelles.
Concepteur d'imaginaire
Plus qu'un poète, le désormais quinquagénaire aime se décrire comme un "concepteur d'imaginaire". "Si je dis poète, ça ne veut rien dire, s'explique-t-il. Les jeunes d’aujourd’hui, ça leur passe par-dessus. Donc j’ai ajouté 'concepteur d’imaginaire' pour titiller le questionnement." L'interrogation est l'objet premier de la poésie pour le Calédonien.
La poésie, ce n’est pas forcément écrire, c’est la façon dont on apprend à vivre.
Denis Pourawa
Justement, son nouveau recueil s'insère tout à fait dans cette logique conceptuelle. "C'est une nouvelle façon d'aborder le temps présent." Ton âme corail est composée d'une série de textes, certains en vers, d'autres en prose. Plus que vivre pour écrire, Denis Pourawa vit parce qu'il écrit de la poésie. Le statut de poète lui permet une meilleure lecture du monde, et de lui-même.
Écrire le parlé
Ce recueil est le cheminement, toujours en marche, du poète à travers la langue. Né à Canala sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie, Denis Pourawa a eu la chance de recevoir l'éducation des "Anciens" dans une Nouvelle-Calédonie "complémentent baignée par la violence communautaire et politique" des années 1980, comme il aime le raconter. Et ce travail de poésie et de recherches est avant tout une recherche de la langue, et du défi d'écrire cette oralité kanak qu'on lui a transmise.
"Dans ma langue, 'parole' se dit 'tèpe', explique Denis Pourawa. C’est un arbre, une branche, une fleur. 'tè' veut dire aussi 'lancer'. La parole, c’est donc une branche qui se détend et au bout il y a une fleur." Une image qui n'existe pas en français, mais qui permet au poète de développer son concept. "L’oralité, la parole, on ne l’écrit pas. Mais à partir de cette image, je me dis que j’ai quelque chose que j’arrive à saisir."
"Créolinésie"
Les réflexions de Denis Pourawa l'amènent également à explorer les rencontres qu'il a faites et les lieux qu'il a traversés. "On n’écrit pas de la même manière de l’endroit où on est, argumente-t-il. Mais c’est toujours le même cœur qui bat. Le regard change, l’écoute évolue." Cela fait quinze ans que Denis Pourawa a quitté la Nouvelle-Calédonie pour l'Hexagone. "Ce recueil, c'est un pont que je tisse, que je trace entre la Nouvelle-Calédonie, les Caraïbes et tous les territoires francophones."
"Ton âme corail", c’est la force que génère la vie dans une île et la capacité qu’on a en tant qu’insulaire d’aller au-delà de nos propres frontières.
Denis Pourawa
Au cours de son travail, Denis Pourawa est par ailleurs entré en contact avec l'œuvre du Martiniquais Edouard Glissant. "Son écriture touche aux insulaires. En Calédonie, j’ai considéré que la trajectoire de Glissant n'était pas en parallèle, mais en symbiose avec la pensée de Jean-Marie Tjibaou [porte-parole des indépendantistes kanak pendant les affrontements politiques des années 1980 en Nouvelle-Calédonie, NDLR]. Et c’est à partir du moment où j’ai pensé les choses de cette façon que je les ai faites se rencontrer : la pensée conceptuelle de Tjibaou et la pensée poétique de Glissant."
L'un des concepts nait de cette réflexion, la "Créolinésie", comme la mise en relation et en rencontre de tous les océans. "Ce recueil puise dans tout ça avec un nouvel apport : celui de son ouverture sur une nouvelle poétique", conclu le poète. Décidément concepteur d'imaginaire.