Dimanche soir, lorsqu'on retrouve Patricia Badin à la salle de danse, on est frappé par le décalage entre sa voix douce, presque timide lorsqu'elle répond à nos questions, et sa tenue de danse avec haut en résille, soutien-gorge rouge apparent, chaussettes de sport montantes et genouillères.
Face à elle ce soir-là, huit élèves, toutes des femmes, d'origines et d'âges différents. Une moitié est composée d'habituées pas du tout gênées à l'idée d'être filmées ou prises en photo ; l'autre moitié, des novices, préfère rester anonyme.
La différence vient de la pratique qui provoque un avant et un après, comme l'explique Laura, 35 ans, une acrobate circassienne qui danse le twerk depuis trois ans. "Quand une copine m'en a parlé, j'avais un peu de résistance, je ne me voyais pas me lâcher autant, se souvient-elle avec un petit accent italien avant d'esquisser un grand sourire. Ça a été le grand amour quand je suis venue la première fois au cours de twerk. J'ai compris que ça me procurait du bonheur."
Un bonheur que l'on peut voir quand Laura et Patricia font une petite démonstration pendant le cours, et leurs rires partagés cassent l'image du twerk comme danse très sensuelle que l'on résume très souvent par des mouvements suggestifs de fesses et de bassin.
"Elles pleurent ou font le ménage dans leur vie"
Certes, le twerk est issu de danses africaines qui sont un "rituel de passage pour des jeunes femmes", "de transmission de fertilité", rappelle la Guadeloupéenne. Mais il y a aussi, selon elle, une dimension spirituelle : "C'est une danse de confiance en soi, de connexion avec son corps, de connexion avec la nature."
Elle, comme Laura, expriment ainsi la sensation d'aller puiser à l'intérieur de soi une énergie qui circule des pieds à la tête, ce qui a parfois des effets étonnants. Patricia donne l'exemple de femmes venues à ses cours qui ont "totalement lâché prise : soit elles ont pleuré, soit elles ont dit 'ok, je vais faire le ménage [dans ma vie]'".
Un grand nettoyage dans sa vie, c'est d'ailleurs ce qu'a fait la Guadeloupéenne quand elle a commencé le twerk il y a huit ans. À l'époque styliste, elle a eu envie de changer et a décidé de se lancer dans la danse. Elle tente d'abord la salsa mais s'aperçoit qu'elle est trop raide : "J'avais 42 ans et j'avais vraiment des blocages des expériences de vie."
Patricia s'essaye alors au twerk, une danse qui l'a toujours fascinée mais qu'elle n'a jamais osé faire. Et c'est la révélation.
Je me suis guérie, je me suis soignée en dansant le twerk.
Patricia Badin
"Pour moi, c'était un moyen de reconnecter mon histoire et à mon identité, détaille-t-elle, évoquant ses parents "dans les fêtes et cérémonies qui dansaient et bougeaient avec leurs hanches et leurs fesses".
"Une danse de résilience"
Importées aux Antilles et sur le continent américain avec la traite négrière, les danses traditionnelles africaines ont laissé place à des variantes afro-descendantes dont le twerk. "C'est une danse de résilience, c'est une danse militante", scande Patricia.
Elle en profite pour préciser au passage que le twerk qu'on voit aujourd'hui n'est pas à proprement dit une danse mais un mouvement extrait de la dancehall. Les élèves s'entraînent d'ailleurs sur des sons caribéens connus :
Apprendre la dancehall, c'est ce que cherchait Judith, 30 ans, quand elle est tombée sur le site de Patricia fin 2022 : "J'ai décidé de suivre un cours pour voir, et au final, je suis devenue accro" car selon elle, cette danse "procure une bonne énergie, de la confiance en soi, de la sororité".
Sororité, c'est un mot qui revient régulièrement dans la bouche des pratiquantes, et bien sûr dans celle de Patricia : "On ne regarde pas nos corps en disant : 'ça c'est moche, ça c'est trop gros, ça c'est trop petit. Au contraire, on te prend comme tu es, l'essentiel c'est de lâcher prise, t'exprimer à travers ton corps et d'être heureuse."
"Ce n'est pas une danse sexuelle"
C'est d'ailleurs pour partager ce lâcher prise et ce bien-être qu'elle a très rapidement voulu donner des cours, dès 2015. "Je me suis appuyée sur le twerk pour devenir la meilleure version de moi-même et je me suis dit : 'Il faut que je dise à toutes les femmes que cette danse, ce n'est pas une danse sexuelle mais antipatriarcale, parce qu'on danse pour soi, pas pour les autres, et après on peut danser ensemble."
Danser ensemble est d'ailleurs un passage obligé du cours, comme le montre la photo ci-dessus. La Guadeloupéenne a aussi constitué un groupe, le Twerk Alert Crew, composé d'une quinzaine d'élèves plus ou moins confirmées, qui participe à des spectacles et festivals dans l'Hexagone. Justine, 30 ans, en fait partie, et elle retrouve cet esprit de sororité et de liberté aussi bien dans le crew que dans les cours du dimanche.
La contrepartie ? "C'est très physique, on perd des litres d'eau", s'amuse la trentenaire qui en fait depuis près de deux ans. Toutes sont d'ailleurs équipées de chaussures de sport et de genouillères pour ne pas se blesser quand elles passent aux mouvements au sol.
Les protections sont d'autant plus nécessaires quand elles s'attaquent à des figures proches de l'acrobatie. Au bout de deux heures de cours, elles sont d'ailleurs en nage, fatiguées, mais avec un grand sourire sur le visage, de quoi affronter la semaine.