Léa Mormin-Chauvac : "J'ai fondu en larmes en découvrant la statue de Paulette Nardal à la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024" #MaParole

Léa Mormin-Chauvac
La journaliste s'est prise de passion pour l'histoire des sœurs Nardal, intellectuelles originaires de la Martinique sur lesquelles elle a écrit. Dans #MaParole, nous partons à la découverte des sept sœurs dont Paulette "symbole puissant et émouvant" de la cérémonie d'ouverture des JO.

"Elle a enfin la visibilité mondiale qu'elle mérite" témoigne Léa Mormin-Chauvac. Contactée après l'enregistrement de #MaParole, la journaliste martiniquaise avoue "avoir fondu en larmes" en découvrant la statue de Paulette Nardal lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024. "Mon téléphone n'a pas arrêté de sonner dès qu'elle est apparue" se souvient-elle. "J'avais la chair de poule rien qu'en entendant la voix de Daphné Bürki présentant Paulette Nardal. Le monde entier la voyait", ajoute la journaliste qui ce jour-là s'est dit qu'elle avait à sa mesure, participé à cette belle reconnaissance. 

La statue de Paulette Nardal

Née en 1993, Léa Mormin-Chauvac a grandi dans le sud de la France. Un peu coupée de ses racines martiniquaises, elle cherche à s’en rapprocher. Quand elle découvre l’histoire des sœurs Nardal, elle se prend de passion pour ces destins si singuliers.

Dans ce numéro atypique de #MaParole, nous nous penchons brièvement sur le parcours de la toute jeune Léa Mormin-Chauvac, avant de s’intéresser aux sœurs Nardal à travers ses yeux. La jeune journaliste a consacré plusieurs années de sa vie à effectuer des recherches sur les sept sœurs martiniquaises.

1Le salon de Clamart

Native d’Aix-en-Provence, Léa Mormin-Chauvac doit sa vocation de journaliste à ses parents qui travaillaient dans la presse quotidienne régionale. Après des études de sciences sociales à Toulouse puis de journalisme à Sciences Po Paris, elle embrasse le métier de reporter et commence à travailler pour Libération et France culture.

En 2019, elle découvre l’histoire de Paulette Nardal grâce au livre de Philippe Grollemund Fiertés de femme noire, entretiens/ Mémoires de Paulette Nardal publié chez L’Harmattan. "Jusqu’alors, pour moi, le nom de Nardal correspondait un arrêt de bus à Fort-de-France", dit-elle en souriant. Après cette lecture, elle rencontre Philippe Grollemund avec qui elle noue une relation de confiance et d'amitié, puis elle rédige pour Libération un long article sur Paulette Nardal, l’aînée des sept sœurs.

Après cet article, elle écrit le scénario d’une bande dessinée publiée dans le magazine féministe La déferlante. Puis, elle co-écrit un documentaire et enfin en 2024 un livre intitulé Les sœurs Nardal, à l’avant-garde de la cause noire. Cette histoire la touche particulièrement au point d’y consacrer beaucoup de son énergie et de son temps.

Paulette Nardal l’aînée et Jane, la quatrième, sont les plus connues de la fratrie. Elles ont toutes les deux écrit de nombreux articles et pris position politiquement sur plusieurs sujets d’actualités. Paulette, très croyante, paraît plus modérée que sa sœur Jane.  

Dans la famille Nardal, on compte sept filles. Il y a donc l’aînée Paulette Nardal puis Emilie, Alice, Jane, Lucy, Cecyl et Andrée. Émilie s’est mariée avec un monsieur Fortuné, une grande famille de la Martinique. Alice est la mère de la fameuse cantatrice Christiane Eda-Pierre. "Elle est très connue en Martinique, car c’est l’une des premières professeures de musique, précise Léa Mormin-Chauvac. Elle a aussi aidé sa sœur Paulette à monter la chorale Joie de chanter".

La quatrième, Jane, aime écrire et étudier. "Très intéressée par des idées plus radicales que sa sœur (…) Elle était moins pratiquante que Paulette", précise Léa Mormin-Chauvac. Quant à Lucy qui a fait des études de sciences physiques à Paris, elle est la mère de "l’un des plus jeunes résistants français, Yves Goussard, mort en déportation du typhus".  Cecyl comme sa mère, travaillait pour de nombreuses œuvres de charité. Enfin, Andrée, née en 1910 est morte à 25 ans, une semaine seulement après son mariage, "d’une méningite foudroyante" ou selon une hypothèse "d’un empoisonnement liée à la carrière politique de son mari".

La famille Nardal en Martinique est atypique. Le père Paul, petit-fils d’une esclave, ingénieur diplômé des arts et métiers a conçu le pont Absalon en Martinique. C'est un homme talentueux et ouvert. En matière d’éducation de ses sept filles, il se montre progressiste. "Il incite ses filles à faire des études, car il n’a rien à leur léguer", souligne Léa Mormin-Chauvac.

La mère, Louise Achille, vient d’une famille qui compte sur l’île. Un stade porte toujours le nom de Louis Achille à Fort-de France. Institutrice, la mère des sœurs Nardal "est très impliquée dans les sociétés mutualistes qui portent secours aux plus démunis".

Dans la maison des sœurs Nardal à Fort de France au tout début du 20e siècle, l’ambiance est joyeuse avant que certaines des filles ne partent faire leurs études à Paris dans les années 20. Des bals, des salons, des projections sont organisées. "C’est un centre culturel avant l’heure" résume Léa Mormin-Chauvac.

Paulette et Jane sont considérées comme les premières femmes noires à avoir étudié à la Sorbonne à Paris. "Pour elles c’est un enchantement, elles découvrent la capitale et mènent une vie trépidante, mais subissent aussi le regard constant des passants".

Les sœurs Nardal Paulette et Jane s’installent à Clamart dans un appartement modeste. Les étudiantes reçoivent leurs cousins et amis dont René Maran, le premier écrivain noir lauréat du prix Goncourt en 1921 pour Batouala. "Tout au long de leur vie, Paulette Nardal et René Maran ont entretenu une correspondance", précise Léa Mormin-Chauvac.

À Clamart, pas d’alcool ni de tabac, mais du thé. "On discute, on joue de la musique et on évoque les dernières publications du monde noir", raconte la journaliste. Les sœurs reçoivent les pères fondateurs du mouvement de la Harlem renaissance, de grands intellectuels afro-américains comme Alain Locke (The new negro en 1925), Claude McKay (Home to Harlem en 1928) ainsi que la sculptrice Augusta Savage.

Paulette Nardal étudie l’anglais à la Sorbonne et peut ainsi faire le lien entre les intellectuels francophones et anglophones. "C’est très probablement grâce à Paulette Nardal qu’Aimé Césaire a pu avoir accès à ces intellectuels américains" note la journaliste.

Deux ouvrages inédits, une biographie et une anthologie, mettent en lumière le profil précurseur des sœurs Nardal.

2Les inspiratrices de la négritude ?

Les sœurs Nardal sont-elles à l’origine du mouvement de la négritude ? Cette question, Léa Mormin-Chauvac se l’est souvent posé. Elle se souvient que les projections du documentaire Les sœurs Nardal, les oubliés de la négritude dans plusieurs communes de la Martinique ont suscité de nombreux échanges à ce sujet. Ce film qu’elle a co-écrit est sorti en 2023 dans La case du siècle sur France Télévisions.

La journaliste considère que les sœurs Nardal "ont œuvré pour ce qu’on appelait la cause des noirs. Et en faisant cela, elles ont mis en œuvre les conditions favorables à la mise en place du courant de la négritude".

À Clamart où Paulette et Jane tiennent salon, Léopold Sédar Senghor, le futur président du Sénégal, vient régulièrement. Il demande la main d’Andrée, la benjamine des sœurs Nardal et essuie un refus. Aimé Césaire, l’autre personnalité du trio de la négritude, côtoie beaucoup moins les sœurs Nardal. Et quand Paulette et Jane Nardal fondent dans les années 30 La revue du monde noir, il la qualifie de  "superficielle". Cette revue publiée en français et en anglais aura une courte vie de 1931 à 1932. Six numéros sont publiés dans lesquels on peut lire René Maran, Félix Eboué, Paulette Nardal ou Claude McKay.

Le futur maire de Fort-de France est attiré par le parti communiste avec qui il rompra après-guerre, tandis que Paulette Nardal ne peut en aucun cas pactiser avec un mouvement qu’elle juge sectaire et anti-catholique. Au moment de l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie, le 3 octobre 1935, Paulette Nardal se mobilise en tenant des conférences pour prendre la défense du Negus, Haïlé Sélassié 1er.

En 1939, à la déclaration de la guerre, l’aînée des sœurs Nardal décide de rentrer dans l’Hexagone à bord du Bretagne. Mais à deux jours des côtes de l’Angleterre, le bateau est torpillé par un sous-marin allemand. En sautant dans le canot de sauvetage, Paulette Nardal se fracture les deux rotules. Après de multiples opérations, elle passe un an seule en convalescence à l’hôpital de Plymouth, dans un pays bombardé par les Allemands. Un véritable traumatisme.

De retour en Martinique grâce aux subsides envoyés par son cousin Louis-Thomas Achille, elle passe les dernières années de guerre sous la férule de l’amiral Robert. Elle enseigne l’anglais et on ne sait pas si à sa manière en donnant des cours d’anglais, elle a participé oui ou non à la dissidence. "Dans les entretiens qu’elle a effectués avec Phlippe Grollemund, elle est très discrète sur la question. Elle ne répond pas vraiment, est-ce que c’est par modestie ? On ne peut pas savoir", se désole Léa Mormin-Chauvac. 

Après la guerre, Paulette Nardal milite pour que les femmes votent aux élections. Elle crée le Rassemblement féminin ainsi que la revue Femme dans la cité dans laquelle elle dénonce les mauvais traitements des hommes faits aux femmes.

En 1956, la maison de famille des Nardal à Fort-de-France est incendiée. Les archives de la famille partent en fumée. Un désastre. Jane qui voulait se lancer en politique renonce. On ne sait pas si l’incendie est d’origine criminel ou pas, mais "une torche allumée a été lancée", note Léa Mormin Chauvac. "Il s’agit peut-être aussi d’une fraude à l’assurance qui a échoué", ajoute la journaliste.

Paulette et Lucy Nardal travaillent un temps pour l’ONU à New-York. Et progressivement, Paulette Nardal s’investit à fond dans la chorale Joie de chanter qu’elle crée dans les années 70. Le groupe remporte du succès et "se produit pas mal". Tante Paulette comme on l’appelait dans la chorale décède en 1985 à l’âge de 89 ans. Son histoire tombe dans l’oubli.

Depuis quelques années en région parisienne, des rues et des établissements scolaires prennent le nom des sœurs Nardal. Dans les années 80, Aimé Césaire donne le nom d’une place à Paulette Nardal de son vivant. Le grand homme a pris toute la place et a probablement malgré lui contribué à l’oubli de ces femmes puissantes que l’on peut considérer aujourd’hui comme des pionnières.

♦♦ Léa Mormin-Chauvac en 5 dates ♦♦♦

►12 octobre 1896

Naissance de Paulette Nardal au François (Martinique)

►1993

Naissance à Aix-en-Provence

►2019

Article sur Paulette Nardal dans Libération

►2023

Co-autrice du documentaire Les sœurs Nardal, les oubliés de la négritude

►2024

Les sœurs Nardal, à l’avant-garde de la cause noire (éditions Autrement)