"Aujourd’hui les narcotrafiquants sont partout. Ils n’ont plus de limite et on est à un point de bascule", indiquait le 1er novembre à Rennes Bruno Retailleau, le ministre démissionnaire de l’Intérieur. Sur la route de la drogue qui progresse vers l’Europe, mais pas seulement, la Guyane et les Antilles sont en première ligne.
"Ce sont des zones historiques qui sont montées en puissance ou qui ont diminué parfois comme aux Antilles lorsque d’autres routes ont été privilégiées, mais aujourd’hui elles sont réactivées", affirme David Weinberger, sociologue, spécialiste de l’analyse de l’offre illicite des drogues.
Des moyens matériels et financiers considérables
Les narcotrafiquants sont sans foi ni loi. Ils sont prêts à prendre tous les risques pour déjouer la surveillance et la vigilance des services français. Ils innovent constamment et disposent de moyens matériels et financiers considérables. Des go fast, des embarcations rapides et puissantes, des sous-marins difficiles à détecter ou encore des tapouilles, ces bateaux typiques de la région amazonienne, sont utilisés par les narcotrafiquants. Pour sécuriser leur précieuse marchandise, les narcotrafiquants pratiquent également la technique du transbordement : la cocaïne est transférée d’un bateau à l’autre.
Les Antilles et la Guyane sont considérées comme des zones rebonds. Lorsque la drogue arrive sur ces territoires français, elle est stockée sur des plateformes, puis à nouveau transbordée sur un cargo, un porte-conteneur ou un voilier, avant d’entamer la traversée de l’Atlantique et atteindre son point final.
"Pour ramener énormément de quantité en volume de cocaïne, le plus intéressant pour les trafiquants c’est le porte-conteneur puisqu’on peut mettre beaucoup de quantité dedans, précise David Weinberger. Les narcotrafiquants, jamais à court d’idées, utilisent généralement les techniques du drop off ou du rip off. La drogue, placée dans un conteneur, est retirée par un complice à bord pour être ensuite jetée à la mer ou déchargée discrètement au port afin éviter les scanners des douaniers".
Au regard du volume de conteneurs qui transitent par le port du Havre, il est impossible de tous les contrôler. Quelques-uns sont scannés sur une plateforme fixe, à distance des quais, ce qui exige beaucoup de temps pour contrôler entre six et huit conteneurs par jour.
Les services de sécurité pourront bientôt s’appuyer sur le scanner mobile pour inspecter des conteneurs à proximité des bateaux, ce qui devrait multiplier par six le nombre de conteneurs contrôlés chaque jour. Le scanner mobile qui est "en cours de déploiement", est en effet beaucoup plus souple, plus rapide et plus maniable.
Être curieux
Déjouer ces complicités et intercepter les narcotrafiquants, c’est le défi des services français. À La Rochelle, plusieurs centaines d’entre eux viennent se former pour s’imprégner des méthodes des narcotrafiquants. "S’il y a un maître mot dans notre formation, c’est être curieux et chercher toutes les anomalies qui peuvent sauter aux yeux ou qui sont dissimulées", affirme Vincent Berger, formateur, chef du pôle lutte contre les trafics.
Cet après-midi, les douaniers sont à l’entraînement. "L’objectif de la recherche, c’est la découverte de marchandises prohibées cachées sur le navire", indique sobrement Yoan Berthier, référent maître-chien, à l’une des stagiaires, accompagnée de son chien. Dans cette guerre qui les opposent aux narcotrafiquants, ces chiens spécialisés dans la recherche de stupéfiants, sont l’un des atouts des douaniers. Ils disposent d’un flair infaillible.
En quelques minutes seulement, Oueska va renifler le colis suspect dissimulé sur le navire. Elle marque un temps d’arrêt, s’assoit et porte son regard sur sa maîtresse. C’est le signal que la drogue est là, derrière cette grille.
"L’idée, c’est d’apprendre aux stagiaires comment monter à bord d’un navire, quelles sont les caches naturelles et celles qui sont potentiellement aménagées par les narcotrafiquants. Nous allons assez loin sur la technique de fouille avec, par exemple, la visite des coques de navire à l’aide de plongeurs embarqués à bord des unités garde-côtes", indique Marc Galeron, directeur de l'école de La Rochelle.
45 tonnes de cocaïne saisies
Depuis une trentaine d’années, les saisies de cocaïne sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus spectaculaires dans la zone des Caraïbes. Elles sont le fruit d’une meilleure coopération et coordination de tous les services français de lutte contre les narcotrafics et de partenariats avec les services américains, britanniques, néerlandais ou espagnols. Sur l’ensemble du territoire, près de 45 tonnes ont été interceptées depuis le début de l’année, soit le double des saisies de 2023.
Un rapport de la Cour des comptes, daté du 26 septembre 2024 sur les activités de l’office antistupéfiants (OFAST) et des forces de sécurité affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants, indique qu’"en 2022, les saisies de cocaïne effectuées aux Antilles au sein des ports de plaisance, mouillages et marinas se sont élevées à près de 1,2 tonne. En 2023, l’antenne OFAST en zone Caraïbes, compétente pour la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin, a saisi 11 tonnes de stupéfiants. En mars 2024, 1,8 tonne de cocaïne ont été saisies dans la partie française de Saint-Martin, dans un 'bateau-cigarette', très prisé des trafiquants pour sa puissance".
Un parquet national pour remonter les réseaux
La commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, créée à l’initiative du groupe Les Républicains le 21 novembre 2023, a remis ses conclusions le 14 mai 2024. Le rapport d’enquête a été adopté à l’unanimité et un texte de loi est inscrit à l’ordre du jour du Sénat pour la semaine du 27 janvier 2025.
Pour éradiquer le trafic de drogue, la commission propose notamment la création d’un parquet national qui permettrait de remonter jusqu'aux réseaux nationaux et internationaux, la réduction de peine d'un dealer qui communique des informations à la police et la mise en place de "dossiers coffres" qui permettrait de ne pas révéler aux avocats de la défense la façon dont les preuves ont été trouvées pour ne pas divulguer aux trafiquants les méthodes des policiers.
"Il faut prendre ce dossier à bras-le-corps sinon les générations qui nous suivent seront sujettes à une superpuissance criminelle qui s’appelle le narcotrafic et qui s’appelle la criminalité organisée", affirme Etienne Blanc, sénateur LR, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic
Le trafic de drogue est rentable et lucratif. La cocaïne se vend aujourd’hui 65€ le gramme en France, 1€50 en Colombie. 600.000 personnes en consomment régulièrement, c’est la deuxième drogue la plus consommée en France. Aujourd’hui, l’office antistupéfiants estime que 21.000 emplois à temps plein sont générés par le trafic de stupéfiants et il fait vivre directement ou indirectement 240.000 personnes. Selon l’Observatoire français des drogues, près d’un adulte sur 10 a déjà consommé au moins une fois de la cocaïne en poudre dans sa vie.