Les Outre-mer aux avant-postes : "Nos Territoires ont un grand potentiel économique" explique Bastien Vandendyck

Lancement du télescope James Webb par une fusée Ariane 5 depuis la base de Kourou en Guyane
L’hebdomadaire Le Point propose une journée de conférences et de débats consacrée à la place des Outre-mer. L’évènement se tiendra le mardi 25 janvier à la Maison de l’Océan à Paris. Sébastien Lecornu, Ministre des Outre-mer, ouvrira et conclura le colloque.

L’évènement du Point vise à "replacer les Outre-mer au centre de l’attention du grand public et des décideurs". Nous avons soumis les thèmes qui seront abordés à la réflexion de Bastien Vandendyck. Il est analyste en relations internationales, spécialiste du Pacifique océanien et des enjeux liés au processus d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie.

Outre-mer La 1ere : Les Outre-mer aux avant-postes : géopolitique, changement climatique, puissance économique et maritime, que vous inspirent ces thèmes du colloque organisé par « Le Point » ?

Bastien Vandendyck : Il aura fallu attendre le concept d’indopacifique promu par Emmanuel Macron pour s’intéresser de nouveau au rôle géopolitique que jouent la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie. Sur un aspect économique et scientifique, pouvons-nous dire qu’une promotion suffisante est faite du rôle central que joue la Guyane dans les capacités spatiales françaises et européennes ?  Dit autrement, s’il est plaisant et rafraichissant qu’un hebdomadaire de l’envergure du Point consacre un événement à nos collectivités d’Outre-Mer, et je les en remercie sincèrement, je note toutefois que ce dernier traite surtout de sujets qui sont aujourd’hui sous-exploités par nos élus et les médias alors même qu’ils sont au cœur de l’actualité française, hexagonale comme ultramarine.

Le premier thème du colloque du Point concerne l’Indopacifique, votre domaine de prédilection. La question posée porte sur "les atouts de la France dans la guerre Chine-Etats-Unis". L’intitulé n’est-il pas exagéré, après tout si les mots ont un sens il n’y a pas de "guerre", ou alors c’est une guerre froide ?

La "Guerre froide" renvoie à une période de l’histoire où l’affrontement entre les États-Unis et l’URSS se construisait avant tout sur une opposition idéologique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’opposition entre Washington et Pékin se structure autour de la rencontre d’ambitions hégémoniques antagonistes.

Le développement d’un axe Indopacifique permettrait effectivement à la France d’avoir voix au chapitre dans ce duel de superpuissance qui se dessine. Notamment parce qu’elle disposerait d’une présence souveraine lui permettant d’agir efficacement dans l’espace où s’oppose frontalement les influences chinoises et américaines, c’est-à-dire le Pacifique océanien. Toutefois, avant d’espérer jouer les premiers rôles, il est indispensable que la France investisse ses territoires ultramarins de véritables missions diplomatiques, économiques et culturelles. Sans cela, elle sera contrainte à jouer les seconds rôles.

Passons au second thème : "réchauffement climatique, les Outre-mer en première ligne", on pense à la vulnérabilité des régions insulaires face notamment à la montée des eaux ?

Nos territoires ultramarins sont en première ligne face aux conséquences du réchauffement climatique. On pense effectivement aux problématiques que représentent pour eux la montée du niveau de la mer, l’acidification des océans ou encore la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes comme les cyclones, les éruptions volcaniques ou les séismes. Ils seront les premières victimes du dérèglement climatique. Il est donc essentiel et surtout urgent de réfléchir et d’agir en faveur de leur résilience. D’autant que toutes les solutions que nous trouverons pour nos collectivités d’Outre-Mer pourront ensuite être mis au service du territoire hexagonal. La prise de conscience généralisée sur les risques du réchauffement climatique est une aubaine mais il essentiel qu’elle soit suivie par des actes politiques forts et non juste des effets d’annonce politiciens.

Autre sujet abordé : "l’Europe de Brest à Nouméa", est-ce une alternative possible à "l’Europe de l’Atlantique à l’Oural", formule célèbre du général de Gaulle qui incluait la Russie mais ne s'est pas concrétisée.

"L’Europe de Brest à Nouméa" est une belle formule. Malheureusement je crois que sa portée sera similaire à la formule dont elle s’inspire … On voit bien aujourd’hui que "L’Europe de l’Atlantique à l’Oural" ne représente pas grand-chose. Les Russes nous coupent le gaz et roulent des mécaniques aux frontières de l’Ukraine, menaçant la stabilité de notre continent. L’Union européenne gère déjà laborieusement les problématiques qui se présentent à ses frontières. Qu’il s’agisse de la déstabilisation du bassin méditerranéen par les Printemps arabes, des crises migratoires, ou des menaces turques à l’endroit de la Grèce, Bruxelles a toujours brillé par ses dissensions internes et son immobilisme politique.

Pour que l’Union européenne se projette avec envie et efficacité dans les régions des territoires ultramarins français, il est nécessaire de réaliser un immense travail de pédagogie auprès des États membres. À ce sujet, la Présidence française de l’Union européenne pourrait être utilisée à dessein par le président de la République et ses équipes afin d’encourager les Européens à s’intéresser un peu plus à leurs territoires ultramarins.

"Pourquoi le secteur aérien est indispensable aux Outre-mer ?" Là encore, à cause de l’éloignement et de l’insularité ? Chaque région d’Outre-mer dispose de sa propre compagnie aérienne, en complément d’Air France, une compagnie aérienne c’est aussi un marqueur d’identité, de souveraineté ?

Il existe deux éléments lorsqu’on traite de l’insularité des territoires ultramarins. D’abord un élément commun. Chaque territoire ultramarin est par définition éloigné géographiquement du territoire hexagonal et il est essentiel qu’un lien puisse être conservé. La préservation de ce lien s’effectue grâce aux compagnies aériennes. Ces dernières sont effectivement des marqueurs d’identité car leur histoire et leur fonction s’accompagne souvent d’un imaginaire partagé à la fois par les Français de l’hexagone mais aussi par les Français de l’Outre-Mer. De plus, quelques compagnies suscitent une certaine fierté pour ces territoires ultramarins car elles sont directement gérées par des locaux.

Dans un second temps, il ne faut pas omettre que les territoires ultramarins ne vivent par la même insularité. Les problématiques aériennes ne sont pas les mêmes à Wallis-et-Futuna et en Martinique. S’il est donc essentiel de promouvoir l’action de service public que réalise les compagnies aériennes qui desservent nos territoires ultramarins, il ne faut toutefois pas homogénéiser les réponses que l’on peut apporter sur cette thématique. Chaque collectivité dispose de spécificités propres qu’il est indispensable de prendre en compte.[BV1] 

"La France veut-elle être une puissance maritime" ? La question sous-entend qu’elle ne l’est pas ou pas suffisamment ?

La France des Outre-Mer est une France maritime. Dès lors, le maintien de la souveraineté française dans ces espaces ultramarins exige une présence militaire maritime de premier ordre. Aujourd’hui, il est évident que nous manquons de moyens humains et matériels pour assurer une présence parfaitement dissuasive et permettant de nous projeter efficacement dans la durée. Si la volonté politique est exprimée de sécuriser correctement ces espaces, son application opérationnelle ne pourra donc pas faire l’économie d’importants investissements en faveur de la Marine nationale.

"Les Outre-mer, une puissance économique aux facettes multiples" : vous adhérez à "puissance économique" ? Peut-on parler de "multiples facettes" quand les seuls domaines jugés digne d’intérêt par la presse économique internationale sont le nickel de la Nouvelle-Calédonie et le Centre Spatial Guyanais ?

Nos territoires ultramarins ne sont certainement pas des puissances économiques à l’heure actuelle. C’est plutôt le contraire. Ils obèrent lourdement le budget national car ils sont aujourd’hui grandement dépendant des transferts financiers de Paris et de l’influence de la fonction publique dans leur économie locale.

Cette situation est une réelle ineptie. Nos territoires ultramarins disposent d’un grand potentiel économique. Outre le nickel et l’activité spatiale, nos territoires ultramarins abritent surtout une faune et une flore absolument exceptionnelles. Cette riche biodiversité est un atout précieux à l’heure où le développement de l’économie verte ou bleue semble devenir une priorité.

Pour profiter au maximum de ce potentiel, il est nécessaire que l’État investisse des moyens financiers et humains considérables dans nos territoires ultramarins. Il est aussi essentiel que les responsables ultramarins portent avec courage la transformation économique de leur collectivité. En plus de réduire les transferts financiers hexagonaux à leur endroit, ces actions permettraient à nos collectivités d’Outre-Mer de devenir des plateformes utiles à l’économie nationale.

"Après le référendum néo-calédonien, doit-on "libérer" les outre-mer" ? Est-ce un appel, sous forme de question, à une évolution dans la relation entre la France et ses Outre-mer ?

Le résultat de la dernière consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie apporte un message positif : celui de Français ultramarins qui clament leur amour pour la France et leur volonté de rester au sein de la République. C’est un message qu’il faut entendre et qu’il ne faut pas prendre à la légère. Nombreux sont ceux qui auraient aimé nous voir quitter la Nouvelle-Calédonie. D’ailleurs, les services de l’État ou certaines organisations nationales bien renseignées comme l’Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) ont rappelé le soutien que certaines puissances étrangères apportaient aux indépendantistes, la Chine pour ne pas les citer[1].

Le cas calédonien est inspirant. Il rappelle que le sentiment d’appartenance à la France n’est pas subordonné à une forte intégration institutionnelle. Sonia Backès, la Présidente de la Province Sud de la Nouvelle Calédonie, le dit intelligemment : « l’autonomie est le meilleur antidote contre l’indépendance ». Donner plus d’autonomie à nos territoires ultramarins c’est avant tout se responsabiliser les uns et les autres. C’est faire face ensemble à notre histoire commune. Il est sûrement plus simple de parler des "ombres" et des "lumières" de la colonisation à Nouméa plutôt qu’à Fort-de-France parce que la relation institutionnelle entre les élus calédonien et hexagonaux a permis de faire un travail salvateur sur notre passé commun. L’autonomie c’est aussi mettre les élus ultramarins en face de leurs responsabilités. En donnant une plus grande latitude aux élus locaux, le Gouvernement place la responsabilité politique dans leurs mains et se préserve aussi de critiques qui sont souvent imméritées.

Le cas de la Nouvelle-Calédonie est singulier car il s’agit déjà d’un territoire fédéral qui ne dit pas son nom. Toutefois, son étude doit encourager la société civile et les élus à réfléchir à la future évolution institutionnelle de nos territoires ultramarins. Travailler, au cas par cas, le lien entre l’hexagone et chaque territoire ultramarin est, selon moi, une nécessité afin de renforcer le lien vis-à-vis de la France. C’est aussi nécessaire pour adapter, toujours plus, les politiques publiques nationales aux spécificités locales.

Sébastien Lecornu, le ministre des Outre-mer, doit ouvrir le colloque du Point et le conclure, quel regard portez-vous sur son action et sur son engagement pour ces Territoires ?

Sébastien Lecornu a été un ministre actif qui s’est rendu à de très nombreuses reprises dans les territoires ultramarins. À l’instar du président de la République, dont le mandat a été marqué par une attention particulière portée aux territoires ultramarins : chlordécone, essais nucléaires, dossier calédonien, … D’ailleurs, pour moi, la plus belle image de ce quinquennat reste celle aux Marquises.

Le ministre des Outre-Mer a également dû composer avec des événements difficile, au premier rang desquels la gestion de la crise sanitaire et l’encadrement de la fin de l’Accord de Nouméa. De mon point de vue il s’en est très bien sorti. Surtout sur le dossier calédonien. C’était presque une gageure de sortir de ces trente années de négociation sans heurt, mais il y est parvenu. Il a su tisser un lien de confiance avec tous les acteurs, il a tenu avec rigueur la position de l’État et a agi en fin politicien. Sa surface politique au niveau national lui a aussi permis de porter plus facilement ses dossiers.