A Londres, des Antillais britanniques traités comme des sans-papiers

Le « Windrush scandal » a révélé que des centaines de citoyens britanniques d’origine caribéenne se sont retrouvés sans travail, sans logement, placés en centres de rétention ou renvoyés aux Antilles. Un scandale qui secoue le gouvernement britannique depuis plus de six mois.
 

« Aujourd’hui est un jour de honte nationale », ces paroles ont été prononcées le 16 avril 2018 par  David Lammy député britannique d’origine guyanienne dans l’hémicycle de la Chambre des communes.
 


Face à la ministre de l’Intérieur, l’élu travailliste dénonce la politique anti-immigration du gouvernement britannique mise en place depuis 2012 et ses conséquences dramatiques sur des membres de la communauté antillaise.
 

La "Windrush generation" en Angleterre, l'équivalent de la génération Bumidom en France

Son discours marque le début du « Windrush scandal ». Un terme dérivé de l’expression « Windrush generation», du nom d’un bateau arrivée en Angleterre en 1948 avec à son bord 700 passagers originaires des « West Indies », les Antilles anglaises. Ces hommes venaient reconstruire l’Angleterre qui avait été détruite par les bombardements durant la deuxième guerre mondiale. Ils ont donné leur nom aux générations d’Antillais et d'Antillaises qui ont quitté leur île dans les années cinquante, soixante et soixante-dix pour venir travailler au Royaume-Uni. A l’image de la génération Bumidom en France.

Cinquante ans plus tard certains se voient licenciés, privés d’accès gratuit aux soins, expulsés de leur logement, placés dans des centres de rétentions et même renvoyés dans une île qu’ils ont quittée enfant.

Ecoutez le reportage de Tessa Grauman sur le Windrush scandal
 

Les politiques "d’environnement hostile" aux étrangers

Ces drames sont liés au « hostile environment policies », des lois anti-immigration dont l’objectif affiché par le gouvernement britannique est de rendre la vie difficile aux étrangers venus tenter leur chance au Royaume-Uni. Dans chaque démarche (demande d’embauche, de logement, ouverture d’un compte en banque..)  il faut prouver que l’on vit légalement en Grande-Bretagne.

« A l’école, les enfants sont susceptibles  d’être questionnés sur l’origine de leurs parents et de déclarer leur statut. Les employeurs doivent également déclarer les salariés auprès du Ministère de l’Intérieur », explique Satbir Singh, du Joint Council for the Welfare of Immigrants, une organisation qui vient en aide aux immigrants.

 

"Vous n'avez plus le droit d'être ici"

Les Antillais frappés par ces lois sont surtout ceux dont la vie a été particulièrement difficile. Ils n’ont en particulier jamais fait de demandes de passeport, et ont du mal à prouver qu’ils vivent  et travaillent au Royaume-Uni depuis des décennies.

Jacqueline McKenzie, avocate spécialiste du droit des immigrés, elle-même d’origine caribéenne, résume bien la situation :

La plupart de de ces gens ont vécu depuis toujours en tant que citoyens britanniques. Ils sont allés à l’école, ils se sont mariés, ils ont eu des enfants, ils ont travaillé et, d’un seul coup, quelqu’un leur tape sur l’épaule et leur dit « désolé, vous n’avez pas le droit d’être ici. On va vous placer en centre de rétention, ou bien on va vous expulser.".. Aucun d’entre eux n’avait jamais imaginé cela.

Jacqueline McKenzie, avocate spécialiste du droit des immigrés

 
 

Lloyd Grant, 59 ans, dont 48 passé à Londres figure parmi les victimes du Windrush scandal. En 2012 il est devenu un citoyen illégal au regard du gouvernement britannique. Privé de travail, puis de logement, il s’est retrouvé un temps à la rue. «  Mon père et ma mère ont souffert en venant ici. Ils ont travaillé toute leur vie dans le charbon, juste pour nous offrir une maison. C’est très triste que le gouvernement britannique nous traite comme cela. »
 

Des milliers de personnes touchées


Depuis que l’affaire relayée par la presse a éclaté au grand jour, Jacqueline McKenzie consacre la moitié de son temps aux victimes du « Windrush scandal ». « On s’est occupé d’environ 500 dossiers jusqu’à présent, mais on pense que des milliers de personnes ont été touchées».


 

Des centaines de millions d’euros d'indemnisation ?


Face à l’ampleur du scandale, le gouvernement a mis en place un groupe de travail qui réfléchit à des compensations.

Satbir Singh pointe la difficulté d’évaluer le montant des indemnisations : « Si on retire à quelqu’un le droit de travailler sans raison, il perd non seulement son travail, donc ses revenus, mais aussi sa capacité à payer son loyer ou son crédit et il finit par perdre son logement. » Autre exemple : « Si vous étiez dans l’impossibilité de voyager dans les Caraïbes pour rendre visite à un proche sur son lit de mort, ou pour assister au mariage de votre enfant, Comme évaluer ce que vous devez à ces personnes ? Je pense qu’à la fin de cette histoire le gouvernement va certainement devoir payer des dizaines voire des centaines de millions d’euros. »