Originaire de Guadeloupe, Nadia Nerom a posé ses valises à Londres il y a 31 ans. Longtemps amoureuse du Royaume-Uni, cette professeure vit désormais dans l’incertitude du Brexit. Elle reproche aux autorités britanniques leur légèreté dans la gestion de cette situation.
Camila Giudice (Londres) •
Dans le quartier huppé de Marylebone, au cœur du Londres des ambassades et des écoles privées, Nadia Nerom sort d’une bâtisse blanche qui détonne parmi les immeubles aux briques sombres. Cette professeure enseigne depuis l’année dernière dans ce lycée international le français et l’anglais. Elle a également monté sa structure de soutien scolaire et aide en fin de journée des élèves à faire leurs devoirs et préparer des examens.
La Guadeloupéenne est venue à Londres il y a 31 ans en tant que jeune fille au pair et n’est plus jamais repartie. Le vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a été un choc : “Je ne m’attendais pas à ce résultat, raconte-t-elle. Ça a été un coup de massue, je n’en revenais pas.”
"Sur le qui-vive"
L’air ému derrière ses lunettes, la cinquantenaire repense amère à ce jour du 23 juin 2016 :
Je me suis sentie trahie, il n’y a pas d’autre mot. Je me suis mise à me méfier de mes propres amis britanniques, en me disant qu’ils avaient peut-être voté en faveur du Brexit. C’est comme si on nous avait utilisés pour enrichir ce pays et soudainement on nous disait "on n’a plus besoin de vous."
Depuis, difficile de continuer à imaginer sa vie dans le pays tant la situation est confuse. Nadia cherche ses mots qui lui viennent plus facilement en anglais qu’en français. Après un moment d’hésitation, elle s'agace : “On nous laisse sur le qui-vive”.
L’enseignante est en colère contre le gouvernement britannique, incapable de donner des indications claires sur la marche à suivre pour les étrangers installés dans le pays : “On se sait rien de ce qu’il se passe ou de ce qu’il va se passer. Pour nous, les gens qui vivons ici depuis longtemps, on a toute notre vie au Royaume-Uni. C’est un désastre.” Nadia Nerom vit à Londres depuis 31 ans. Elle a vécu le vote en faveur du "Brexit" comme une "trahison"
Demande de résidence permanente
Nadia suit quotidiennement l’avancée du "Brexit" et regarde avec attention les débats au Parlement. Elle s’est également inscrite à une newsletter des autorités et a assisté à une réunion publique autour de la situation des étrangers. Mais ni l’une ni l’autre ne lui ont semblé très utiles : “Le problème c’est que les Britanniques n’arrivent pas à se décider, et on a l’impression qu’ils jouent avec notre vie”.
Le mois dernier, elle a appris qu’il lui fallait faire une demande officielle pour obtenir le statut de résidente permanente : "On nous l’a dit il y a un mois. Vous imaginez, depuis le temps qu’on attend une marche à suivre ! Et quand on la fait, cette demande de résidence permanente, on se dit “peut-être qu’ils vont me rejeter.” Après trente ans de vie ici, se dire qu’on doit attendre qu’on examine votre dossier, c’est dur."
Libération de la parole raciste
La Guadeloupéenne est très impliquée au sein de la communauté antillaise de Londres. Depuis sept ans elle organise en octobre le “Creole day festival”, journée dédiée à la culture créole. Selon elle, le "Brexit" est devenu un sujet de conversation récurrent pour les Antillais installés dans la capitale britannique. Et particulièrement le racisme qu’ils peuvent ressentir depuis le vote :
Il y a une libération de la parole raciste. Vous vous rendez compte, par exemple, que maintenant tous les joueurs de foot noirs se font siffler parce qu’ils sont noirs? Ce sont des choses qui ne se seraient jamais vues avant le vote du Brexit ! On est retourné en arrière. C’est grave, c’est très grave. Avant je ne me sentais pas noire ici. Maintenant, oui.