Depuis son premier roman, Thomas Cantaloube aime distiller dans la fiction des faits historiques "en contrebande". Et le troisième volet de sa trilogie n’échappe pas à la règle. Après la guerre d’Algérie (Requiem pour une République) puis la guerre du Cameroun et l’avènement du système de la Françafrique (Frakas), Mai 67 plonge les trois personnages principaux du romancier en Guadeloupe - mais aussi en Martinique, à Marie-Galante et Paris - après les événements sanglants que tous les Guadeloupéens ont encore en mémoire. C’est cette mémoire que Thomas Cantaloube ravive pour tous dans son polar dont il nous livre la genèse dans la vidéo et plus en détails dans L’Oreille est hardie :
De sinistre mémoire
Les 26 et 27 mai 1967, suite à des manifestations dans les rues de Pointe-à-Pitre, la police réprime violemment et ouvre le feu sur la foule. Les autorités françaises de l’époque ne reconnaîtront jamais les faits, allant même jusqu’à traîner en justice pour sédition dix-neuf membres du GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe), organisation indépendantiste guadeloupéenne.
Les faits constituent encore aujourd’hui un traumatisme dans l’archipel, cinquante-sept ans plus tard ; et dans les cortèges des manifestations actuelles, dans les slogans scandés, Mé 67 est toujours présent pour symboliser une injustice à dénoncer.
Histoire méconnue, oubliette mémorielle
C’est au cours de ses recherches effectuées systématiquement pour documenter ses romans que Thomas Cantaloube "tombe" sur cette douloureuse histoire qui, soyons clair, était (est encore) frappée d’effacement mémoriel en France. Très peu de personnes seraient capables dans l’Hexagone de situer ces événements - tout juste se demanderait-on s’il n’y a pas eu confusion dans la question avec mai 68 !
Pourtant, une commission officielle nommée en 2014 et dirigée par l’historien Benjamin Stora est chargée de faire la lumière sur ce passé trouble : en 2016, c’est cette commission qui conclura dans son rapport - et selon ses propres termes - à un massacre perpétré par les forces de police françaises avec 8 morts relevés au bilan officiel mais certainement bien plus, comme l’établira le rapport.
Histoire sur fond de polar (ou l’inverse)
C’est ce contexte douloureux qui a inspiré l’ancien journaliste (il l'a été pendant vingt-cinq ans !) pour reprendre les aventures et mésaventures de ses personnages : l’ancien flic et journaliste Luc Blanchard vit désormais en Guadeloupe avec sa femme Lucille, l’insaisissable Antoine Lucchesi y fait du convoyage de bateau et le mercenaire Sirius Volkstrom y accomplit une mission pour le compte de la CIA (!).
En les plongeant une première fois en 1961 dans une France, en pleine guerre d’Algérie puis en les mêlant à l’établissement de la Françafrique dans les ex-colonies françaises, Thomas Cantaloube a du faire quelques acrobaties d’intrigue pour les réunir de nouveau et nous conter, au passage de leurs pérégrinations, cette période de mai 67 - et le récit se poursuivra jusqu’au procès des militants du GONG l’année suivante puis jusqu’au mouvement de mai 68 à Paris.
Fiction et réalités
Mai 67 est haletant comme un bon polar doit l’être et c’est évidemment l’objectif de l’auteur : tenir en haleine ses lecteurs. Mais c’est aussi très instructif. On y croise en ombres chinoises, les silhouettes de De Gaulle ou Pompidou ; les héros du roman entrent en interaction avec des personnalités qui ont réellement existé, proches du pouvoir dans cette France des années 1960 (jusqu’à, par exemple, évoquer et croiser un jeune homme entré en politique, un certain Jacques Chirac…).
Thomas Cantaloube a à peine pris quelques libertés avec la chronologie mais toutes les références historiques restent exactes et ce n’est pas là le moindre intérêt de ce Mai 67 qui peut se lire tout seul (mais c’est toujours bien de commencer une trilogie par le début !…).
Un polar efficace
L’intrigue est suffisamment posée pour donner envie de suivre les agissements des personnages, les décors sont très bien décrits (en bon ex-journaliste, l’auteur s’est rendu sur place en Guadeloupe et ça se voit et se lit !) et les portraits des personnages même secondaires suffisamment brossés pour qu’on s’attache à leur sort, le tout sans oublier un brin d'action : bref, de la série noire comme on l’aime et dans un contexte original : un vrai polar dans les Outre-mer, ce n’est pas si fréquent !
Retrouvez l’auteur de ce Mai 67, Thomas Cantaloube dans L’Oreille est hardie, c’est par ICI !
Ou par là :
"Mai 67" de Thomas Cantaloube est paru aux éditions Gallimard, collection Série noire.