Voix qui porte, tatouage dans le cou, Rodrigue Petitot, 42 ans, distribue les "punchlines" sur les réseaux sociaux et près de supermarchés bloqués depuis le début, il y a près d'un mois, de la mobilisation.
Avec son mantra "On est chez nous ici" et sa dénonciation des prix de la grande distribution, le Martiniquais, qui a passé sa vie entre cette île caribéenne et l'Hexagone, séduit les militants du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), le collectif citoyen qu'il préside.
"Le R, c'est le peuple, il représente la souffrance, la misère de chacun", confiait jeudi, sous couvert de l'anonymat (comme d'autres interlocuteurs), Joe, présent avec des centaines de manifestants, drapés de rouge, devant la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) où se déroulent les négociations pour faire baisser les prix de l'alimentaire.
"Pièges"
Mais le passé sulfureux du "R", qui a eu affaire avec la justice à plusieurs reprises, notamment pour trafic de stupéfiants, laisse sceptiques plusieurs sources interrogées par l'AFP sur les raisons de son engagement politique.
"Ma dernière peine, j'ai été condamné à 10 ans. Je suis resté incarcéré pratiquement 5 ans", libéré en aménagement, se défend Rodrigue Petitot, officiellement domicilié à Colmar. Ce père de trois enfants dit n'avoir jamais caché son passé aux Martiniquais. Son "premier combat", affirme-t-il, est d'essayer de dissuader les jeunes de tomber dans les mêmes "pièges".
"Est-ce qu'aujourd'hui, lorsqu'on a purgé sa peine, on n'a plus le droit d'œuvrer pour le peuple ?", s'interrogeait-il auprès de l'AFP le 21 septembre, en marge d'une action de blocage. Il dit avoir appris de la prison : "J'ai pu quand même bouquiner beaucoup, apprendre des textes de loi", a confié, début septembre sur la chaîne locale Zitata, celui qui réfute le statut de chef et invoque "un mouvement populaire".
Cette aisance à l'oral roule tout le monde dans la farine, affirme une source proche du dossier, le qualifiant de "gangster" à la tête de la bande du quartier populaire de Sainte-Thérèse, épicentre des violences qui ont secoué cette île d'environ 350.000 habitants en marge du mouvement. D'aucuns vont même jusqu'à voir dans sa montée en puissance politique une possible emprise des gangs.
Mais le passage par la case prison de celui qui est revenu en Martinique il y a un peu plus d'un an ne semble pas effrayer tout le monde sur l'île. "Ce qu'il est devenu, c'est ce qui compte", dit Dory, sympathisant du RPPRAC. "Chacun a droit à une seconde chance", complète Cynthia, 42 ans.
"Quelque part, je dis, heureusement qu'il a fait de la prison. Parce que maintenant, ça peut être un vrai leader", qui "n'a pas peur d'aller en garde à vue", souligne Florence Saint-Pierre, dont la nièce est trésorière du RPPRAC et l'une des deux bras droits du "R". Elle file même la métaphore avec Nelson Mandela qui a passé 27 ans derrière les barreaux dans l'Afrique du Sud de l'apartheid avant de diriger le pays. M. Petitot est cependant loin de rassembler les foules autour de lui.
"Parler populaire"
Au début de la mobilisation, "le R" a été placé en garde à vue, soupçonné de vouloir voler un autobus, et placé sous statut de témoin assisté. Joane, elle, apprécie son franc-parler. Il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, "je l'applaudis pour ça", salue cette femme de 48 ans.
"Il a un parler populaire", analyse le sociologue Pierre Odin, évoquant un "charisme de situation". Ce professeur à l'Université des Antilles, en Guadeloupe, voit une similitude avec des figures des "gilets jaunes" comme Jérôme Rodrigues. "Ce qui me frappe dans tout ça, c'est qu'il prétend s'exprimer au nom du peuple. Du jour au lendemain, il devient l'incarnation du peuple", décrypte le professeur de sciences politiques Justin Daniel, rappelant que l'association a lancé la mobilisation sans les syndicats, qui commencent à la rejoindre.
Le RPPRAC se garde bien de publiciser ses prochains combats, restant focalisé sur l'alignement des prix de l'alimentaire avec l'Hexagone. "On est chez nous ici. Et c'est important de le comprendre", aime à répéter Rodrigue Petitot, "quand on comprend qu'on est chez soi, on arrête de se comporter comme un locataire".