"La France va donner un spectacle terrible à la planète, celui d'un pays des droits de l'Homme qui va s'attaquer aux ménages les plus pauvres", dénonce ce lundi sur franceinfo Jean-Baptiste Eyraud, président de l'association Droit au Logement (DAL), au sujet de l'opération Wuambushu.
Le ministère de l'Intérieur prévoit par cette opération de déloger des migrants en situation irrégulière des bidonvilles de Mayotte, 101e département français, et d'expulser les sans-papiers, dont la plupart sont des Comoriens, vers Anjouan, l'île comorienne la plus proche située à 70 km.
Quelque 1.800 policiers et gendarmes, dont des centaines de renforts de l'Hexagone, sont déjà mobilisés ce lundi pour réaliser des contrôles avant de commencer probablement les délogements ce mardi 25 avril.
"Politique excessivement brutale"
Pour le DAL, il s’agit d’une "politique du logement excessivement brutale". Elle renverra, selon Jean-Baptiste Eyraud "une image terrible", celle de "centaines de familles qui verront leur habitat être détruit et ne seront pas forcément hébergées [en raison de la] crise du logement très grave à Mayotte".
Il regrette que dans le cadre de cette opération Wuambushu trois questions soient "amalgamées", à savoir "la question de la migration, la question du logement et la question de la délinquance". "Il faut s’attaquer aux délinquants, or là on a l’impression que c’est une sanction de masse", lance-t-il.
Une sanction de masse qui ne touchera pas forcément les bandes délinquantes "qui sont la principale justification de l'opération" : "Elles auront pris leurs dispositions pour disparaître avant la date annoncée", prévoit l'association dans un communiqué.
La loi d'exception de 2018 pas respectée
Jean-Baptiste Eyraud appelle le gouvernement français à mettre en place "des politiques du logement", plutôt que "des politiques d'expulsion et de destruction de l'habitat des ménages les plus fragiles". Il pointe tout particulièrement du doigt la "loi d’exception votée en 2018 qui prévoit d’intervenir sur ces quartiers informels en Guyane et à Mayotte".
Selon l'article 197 de cette loi, dans ces deux départements d'Outre-mer, "lorsque des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituent un habitat informel [...] et présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique", le préfet peut par arrêté ordonner aux occupants d'évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition.
"Le préfet doit toutefois respecter certaines conditions", souligne le DAL, comme "afficher l'arrêté un mois à l'avance, sur les habitations concernées et en mairie, auquel est annexée une proposition de relogement ou d'hébergement pour le ou les occupants".
Pour Jean-Baptiste Eyraud, cette loi "n'est pas respectée". "Il faut à minimum que le préfet et le gouvernement appliquent la loi qui a été votée en 2018, sous le gouvernement Macron", martèle-t-il. Par ailleurs, l'association estime que Mayotte "ne dispose pas des moyens suffisants de relogement ni même d'hébergement au regard du nombre d'expulsions/destructions envisagées".
Opération "d'une ampleur inédite en France"
Dans son communiqué de dimanche, le DAL appelait à l'arrêt de cette opération "anti-pauvres" et qui "confirme une nouvelle régression des politiques du logement des classes populaires : on résorbe l'insalubrité non plus en relogeant les habitants de quartiers informels, mais en les stigmatisant pour mieux justifier leur expulsion".
Des propos explicités par le président de l'association ce lundi qui rappelle qu'il y a eu "en métropole, des vagues migratoires très importantes dans les années 1950-1970" et que les habitants des bidonvilles ont été "relogés, on ne les a pas renvoyés à l’autre bout du monde".
Pour le DAL, cette opération "d'une ampleur inédite en France depuis un siècle" risque de "briser des familles" et de les jeter "dans la grande misère".
Selon l'Insee, près de la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française, mais un tiers des étrangers sont nés sur l'île. En 2022, les autorités ont procédé à 25.380 reconduites à la frontière, selon la préfecture de Mayotte.