"Explosif" et "dévastateur pour l'État français". Publié par le journal Médiapart ce jeudi 8 mars, un rapport camouflé par le gouvernement révèle la situation de crise dont souffre Mayotte. Rédigé par l'inspection générale de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finance, éducation et affaires étrangères), ce compte rendu relate la défaillance de l'État sur l'île dans les domaines de la santé, du logement, de l'éducation, de la justice ou encore de la sécurité.
"C'est la première fois que plusieurs inspections générales du gouvernement décident de mettre en commun leur force d'enquête pour analyser la tragédie que vit l'île", remarque Fabrice Arfi, journaliste pour Médiapart qui a pu consulter ce rapport. Pour réaliser ce dossier, plus de 300 personnes de l'administration publique et de la société civile ont été auditionnées pendant plusieurs semaines.
Selon le journal, le gouvernement a délibérément choisi de ne pas rendre public ce rapport, qui a été remis il y a plus d'un an, en janvier 2022. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin aurait même "pesé de tout son poids" pour que le rapport soit étouffé.
"Portrait catastrophique"
Pour le journaliste Fabrice Arfi, le constat fait par les six cellules d'inspection générale est "tragique". "Ce rapport est une sorte de portrait général de l'île qui est absolument catastrophique en ce qu'il dévoile. C'est une sorte de faillite généralisée des administrations publiques et notamment de l'État, qui n'arrive pas à endiguer les multiples crises qui secouent l'archipel depuis longtemps", résume Fabrice Arfi.
Sur le volet sécuritaire, le rapport montre "une forme d'échec" de la politique "répressive" mise en place par Gérald Darmanin. "Notamment concernant les questions migratoires qui sont des questions très lourdes à Mayotte vis-à-vis des Comores", ajoute le journaliste.
Le rapport montre que le problème est beaucoup plus vaste et qu'une approche sécuritaire ne peut suffire pour régler le problème.
Fabrice Arfi
Autre constat du rapport, la précarité grandissante et le manque d'éducation pour les enfants. "Près de 10 000 enfants vivent sous un toit, dans un logement insalubre, sans leurs parents", selon Fabrice Arfi. "L'Éducation nationale n'est pas en mesure de nourrir à la cantine des établissements scolaires, les enfants de l'île à leur faim. C'est une situation qui semble venir du Moyen-âge et c'est pourtant en France, en 2023".
Un "enfer" pour les enfants
Le compte rendu alarme sur la situation "hors-norme" des enfants résidant dans le 101e département français. Selon la mission d'inspection, 6 600 mineurs sont "en risque majeur de désocialisation" et 9 200 enfants en âge d'aller à l'école primaire n'y avaient pas accès en 2020, peut-on lire dans les colonnes de Médiapart.
Plus globalement, on assiste à un territoire qui devient une sorte d'enfer pour l'enfance, où la situation sanitaire et éducative est terrible.
Fabrice Arfi
Pour le journaliste, cela soulève des "questions vertigineuses" en termes de droits fondamentaux. "Les enfants sont plus malades à Mayotte que n'importe où en France, ils sont moins bien éduqués, car l'Éducation nationale ne peut même pas tous les scolariser" ajoute-t-il.
"Une forme d'impuissance"
Le rapport émet des recommandations pour améliorer la situation. " Ce qui revient le plus souvent, c'est qu'ils [les autorités locales, ndlr] sont pris dans une forme de désillusion et d'impuissance par rapport aux enjeux monstrueux auxquels ils sont confrontés", explique Fabrice Arfi.
Sur la question de la précarité alimentaire et de la scolarisation, "le compte rendu dit qu'il faut tout faire pour que l'intégralité des enfants soient scolarisés et que l'État doit débloquer les moyens nécessaires pour que les enfants puissent manger à leur faim", souligne le journaliste de Médiapart. Mayotte reçoit en effet moins d'aides que les autres régions d'Outre-mer.
Selon Fabrice Arfi, il y a un "défi majeur" présenté dans ce rapport que le gouvernement devrait saisir. "Le diagnostic est posé, c'est le meilleur moyen d'apporter des solutions. La question qui se pose désormais, c'est est-ce que le gouvernement va ouvrir les yeux sur cette situation [...] pour sauver Mayotte ?" conclut Fabrice Arfi.