Mémona Hintermann-Afféjee : "Les gens ont honte de la pauvreté, moi je n'ai pas eu honte" [#MaParole]

Mémona Hintermann-Afféjee est l'invitée de #MaParole

Elle a couvert pour FR3 les conflits qui ont agité la planète ces 40 dernières années : l’Afghanistan, l’ex-Yougoslavie en passant par la Somalie et l’Irak. D’une enfance misérable à La Réunion au CSA, Mémona Hintermann-Affejee raconte son parcours exceptionnel dans #MaParole.

Dans une jolie maison d’une commune populaire de la banlieue sud de Paris, Mémona Hintermann-Afféjee nous a reçus une heure, pas plus. Elle avait un rendez-vous à 14h et ne devait pas traîner. "J’ai un emploi du temps très chargé", déclare la grand reporter. Une heure pour enregistrer un podcast de 3x20 minutes, c’était très juste, mais pas impossible. La preuve !

 

#1 Le Tampon de la misère

A 68 ans, l’ex-grand reporter n’a toujours pas envie de prendre le temps. Un projet d’écriture, un manuscrit à rendre, une chronique à écrire. L’envie et le désir d’apprendre a toujours guidé la journaliste. Tout a commencé pour elle au Tampon, la commune du sud de La Réunion qui doit son nom aux "tampons apposés sur les certificats de chargement des charrettes de canne à sucre", nous apprend-elle.

Ses parents, "un casting d’enfer", écrit-elle dans son autobiographie Tête haute (Lattès). Difficile de trouver couple plus mal assorti. "Tout les séparait". Son père Cassim Afféjee est arrivé de Bombay en Inde dans les années 40. Il était musulman et "beau garçon". Sa mère Marie-Claire Séry est née dans une famille de créoles blancs catholiques. "C’était une yab, une créole blanche ne sachant ni lire, ni écrire", raconte Mémona Hintermann-Afféjee dans #MaParole. Elle est tombée amoureuse de ce vendeur de tissus "éduqué et cultivé" pour son plus grand malheur.

Pendant toute son enfance, Mémona Hintermann-Afféjee a dû se battre pour ne pas avoir faim et aller à l’école. "Mes parents ont eu onze enfants, nous sommes sept survivants. Quatre enfants sont morts de faim et par manque de médicaments. Ça m’a hanté toute ma vie", déclare la journaliste dans #MaParole.

Cassim Afféjee ne s’est jamais occupé de ses enfants. Avec Marie-Claire Séry, ils ne se sont pas mariés, et Mémona Hintermann-Afféjee ne sait toujours pas pourquoi. Sa mère était livrée à elle-même, battue par Cassim, reniée par son propre père et réduite à devoir éduquer toute seule une ribambelle d’enfants. Mémona Hintermann-Afféjee se souvient d’avoir usé de stratagèmes pour voler de la nourriture chez l’épicier Chan-Ky avec ses frères. Elle se rappelle aussi de ce poulet subtilisé le plus discrètement possible chez les voisins. Enfant, elle a dû aussi aller chez son père pour y glaner un peu de nourriture pour la famille, tandis qu’il cuvait son rhum dans la case de Marie-Claire.

"La pauvreté, l’extrême pauvreté est un fardeau très lourd qui marque à jamais", écrit-elle dans Tête haute. Elle se rendait pieds nus à l’école, mais c’est l’école qui l’a sauvée. Le ventre souvent vide, elle avait soif d’apprendre et se souvient encore aujourd’hui des noms des institutrices qui lui ont donné le goût de la connaissance.

La journaliste réunionnaise Mémona Hintermann lors d’un reportage télévisé en Libye, en juillet 2012.

 

#2 Une vocation de journaliste

Comment naît une vocation ? Pour Mémona Hintermann-Afféjee, la révélation s’est produite devant l’épicerie du Chinois Henry. Il avait installé un poste de télévision, et une petite foule s’était attroupée devant la boutique. On entendait des cris "hein", "seigneur, aidez-nous". "Un car scolaire de Saint-Paul avait fini sa course dans la Ravine à Malheur. Douze élèves avaient été tués sur le coup". Devant le petit écran, Mémona Hintermann-Afféjee a été happée voire fascinée de voir l’histoire s’écrire ainsi devant elle. A tel point qu’elle se souvient avoir dit à sa mère : "Je veux travailler là-dedans".

Au lycée, en première, grâce à une annonce parue à la télévision, Mémona Hintermann-Afféjee a postulé pour effectuer un stage d’un mois en juillet à l’ORTF à Saint-Denis. Sélectionnée parmi plusieurs candidats, elle a découvert en quelques semaines le monde de la télévision. De retour au Tampon, sa détermination pour devenir journaliste était encore plus forte. Après le baccalauréat, elle a de nouveau quitté Le Tampon pour Saint-Denis de La Réunion où elle s’est inscrite en fac de Droit tout en travaillant comme pionne. Et après quelques mois, coup de chance, l’ORTF a organisé un véritable concours pour sélectionner deux jeunes. C’est ainsi que Mémona Hintermann a pu commencer sa carrière de journaliste. Elle devient alors la première femme reporter de télévision de La Réunion. Une pionnière.

A La Réunion, être journaliste dans les années 70, ce n’était pas une sinécure. Entre la pression du "tout-puissant" préfet et la méfiance des propriétaires terriens, des sucriers, des hommes politiques communistes ou de droite, il s’agissait pour la jeune journaliste d’une course remplie d’obstacles. Au bout de deux ans, Mémona Hintermann a eu envie d’aller voir ailleurs, dans l’Hexagone. Pendant cette période, la journaliste a été mise à pied temporairement et a fait campagne en 1974 aux côtés de Michel Debré, député de La Réunion et ex-Premier ministre du général de Gaulle. Elle s’en explique dans #MaParole.

Une fois arrivée dans l'Hexagone, la rédaction nationale ne lui a pas ouvert les bras. Elle a dû partir à Orléans où elle a fait ses premières armes de reporter et de présentatrice loin de La Réunion. Une expérience dont elle ne garde que de bons souvenirs, mais elle voulait rejoindre le national. A force de persévérance, Mémona Hintermann-Afféjee est arrivée à la rédaction nationale de FR3 et très rapidement elle a commencé à effectuer des reportages à l’étranger. Première mission : la Pologne. A FR3, de 1978 à 2013, elle n’a cessé de parcourir le monde et les terrains de guerres. Afghanistan, Somalie, Pakistan, Irlande, Irak, ex-Yougoslavie, Tchad, Lybie, Etats-Unis, Afrique du Sud, Palestine, Allemagne, Roumanie : la liste est impressionnante, les dangers aussi.

 

#3 Combat pour la diversité

En 2007, lors de la venue controversée de Khadafi à Paris, accueilli en grande pompe par Nicolas Sarkozy, la journaliste a révélé que le dictateur lybien avait tenté de la violer en 1984. Elle avait demandé une interview. C’est l’un des pires souvenirs de sa carrière. "Cette rencontre m’a mise en état de vigilance pour le reste de mes jours", déclare-t-elle dans #MaParole.

En 1994, la grand reporter a couvert la victoire de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Elle a réussi à approcher et à interviewer ce leader charismatique qui a mis fin à l’Apartheid, après trente années de prison. "C’est un homme qui donne de la force. Il connaissait le modèle de La Réunion où l'on a créé une société équilibrée", explique la journaliste. A plusieurs reprises, la reporter s’est trouvée face au danger comme en ex-Yougoslavie quand des militaires serbes l’ont mise en joue. "C’était un dimanche. Le début du printemps. C’est resté gravé dans ma tête comme le lieu où nous aurions pu mourir".

Après une carrière mouvementée et passionnante, la journaliste a fait campagne pour entrer au CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Personne n’est venu la chercher. Elle s’est battue pour intégrer l’instance de régulation de l’audiovisuel français afin d’y défendre la diversité. Son combat. Après six années de service au CSA, elle a rejoint la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Elle poursuit aussi sa carrière d’écrivain. Après Tête haute, son autobiographie parue en 2012, elle a publié plusieurs récits avec son mari Lutz Krusche et ne semble pas vouloir s’arrêter de sitôt. Elle prépare un roman qui doit sortir à la rentrée en septembre 2022. Elle vient de publier un récit très personnel sur la tentative de suicide de son mari intitulé Je n’ai pas su voir ni entendre (Hugo Doc).

En 2019, le lycée Nord de La Réunion a été baptisé du nom de Mémona Hintermann-Afféjee. Un événement particulièrement émouvant pour celle qui allait, enfant, pieds nus à l’école au Tampon et pour qui "les enseignants sont ceux sans qui rien n’est possible".

A la prise de son : Diane Koné.

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♦ Mémona Hintermann-Afféjee en 5 dates ♦

►19 janvier 1952

Naissance au Tampon

►7 septembre 1976

Premier poste à FR3 (ex-France 3) à Orléans

►Mai 1994

Rencontre avec Nelson Mandela

►Dimanche 14 mars 1999

Mémona Hintermann et son équipe sont mis en joue par des soldats serbes au Kosovo

Vendredi 13 décembre 2019

Le lycée Nord de La Réunion est baptisé Mémona Hintermann-Afféjee