Marie-Ange Silmar avance tranquillement vers le Vélodrome. Malgré le grand ciel bleu de cette fin de mois de septembre, la météo est capricieuse à Marseille : le Mistral souffle fort et soulève toute la poussière autour du stade de la cité phocéenne. Marie-Ange n'en a cure. Si elle est là, c'est pour une seule et unique chose : voir le Pape François. Tout droit venue de Martinique, elle a eu une longue journée : "J'ai pris l'avion hier après-midi à Fort-de-France, dit-elle avec un large sourire. Je suis arrivée ce matin à 6h30 à Orly. Puis j'ai repris un avion pour Marseille, et je suis arrivée ici, au Vélodrome !". Elle n'a pourtant pas fait le déplacement exprès pour François : son billet, qui devait l'amener dans l'Hexagone le 24 septembre, a été avancé d'une journée par la compagnie. "L'action du Seigneur", veut croire cette chrétienne.
Marie-Ange ne vient pas seule au Vélodrome. Elle rejoint un groupe d'amis, principalement d'Antillais, installés dans la zone Aix-en-Provence/Marseille. Ensemble, "en communion" comme ils le répètent, ils vont assister à la grande messe donnée par le Pape François, ultime étape d'un voyage inédit de deux jours dans la cité phocéenne, capitale de la Provence devenue capitale de l'Église catholique pendant un peu plus de 24 heures.
Des "Je vous salue Marie" à la place des ultras
Arrivé la veille à l'aéroport de Marignane, le souverain pontife, âgé de 86 ans (dont 10 passés au Vatican), a fait le déplacement pour clôturer les Rencontres méditerranéennes, qui réunissaient un ensemble d'acteurs (religieux ou non) sur les enjeux contemporains de la mer Méditerranée. Pour mettre un point final à cette visite historique, le Pape a tenu une messe exceptionnelle dans le mythique Stade Vélodrome, antre de l'Olympique de Marseille, transformé en cathédrale à ciel ouvert samedi après-midi.
"Je ne pouvais pas le rater", répond Chantal Mangin-Duventru, une Parisienne de naissance, Marseillaise d'adoption et Martiniquaise d'origine, lorsqu'on lui demande les raisons de sa présence. Avec les fidèles de l'aumônerie Antilles-Guyane de la paroisse d'Aix et sa mère venue de Martinique, elle a fait les quelques kilomètres de distance qui la séparait de Marseille pour assister à ce "moment historique".
Déjà, voir le Pape en France, c'est important. Mais de le voir à Marseille ! C'est une ville particulière, constituée de multiples communautés. Ce qui nous rassemble, c'est notre foi.
Chantal Mangin-Duventru, membre de l'aumônerie Antilles-Guyane du diocèse d'Aix-en-Provence
Chaque membre du petit groupe, majoritairement composé de femmes antillaises, arbore fièrement un foulard madrass. Tandis qu'on distribue les billets, la foule se presse vers le virage sud du Vélodrome, qui accueille habituellement les ultras marseillais. Mais, ce samedi, pas de fumigènes. Ce sera plutôt des "Je vous salue Marie". Pour l'occasion, le stade, qui ne cesse d'être au cœur de l'actualité ces derniers jours, a été transformé en immense lieu de prière pouvant accueillir 57.000 personnes. Deux jours plus tôt, c'est le match de la Coupe du monde de rugby France-Namibie qui se jouait sur cette même pelouse. Les Bleus ont (très) largement gagné. C'est dire si les Marseillais sont contents.
"Des palpitations"
Avec sa béquille, Anne-Marie Audel, originaire de La Trinité en Martinique, mais habitante de Marignane, près de Marseille, monte difficilement les dizaines de marches de la tribune D, porte 14, où une partie du groupe doit se placer. C'est la première fois qu'elle va voir le Pape. "Ça fait quatre jours que je ne dors pas", avoue-t-elle avec excitation. Les bénévoles qui gèrent l'organisation indiquent qu'il faut enfiler une chasuble en plastique bleu pour que le Pape, qui sera situé juste en face, de l'autre côté de la pelouse, voit apparaître un énorme message dans le public, écrit en couleur. Tout le monde s'exécute.
Le Vélodrome se remplit peu à peu. Le président et sa femme, Emmanuel et Brigitte Macron, sont arrivés et s'installent dans les tribunes officielles, à côté de l'ancien président Nicolas Sarkozy et d'un parterre de personnalités publiques. Tandis qu'à l'extérieur le Pape entame son bain de foule en papamobile sur le Prado, la grande artère de Marseille, des centaines de prêtres, d'évêques et de cardinaux, vêtus de blanc, avancent en file indienne dans le Stade pour aller se nicher dans leur tribune. Parmi eux, le père Jean-François Lof, un Marseillais originaire de la Martinique. Exalté, il raconte avoir eu la chance de croiser le Pape la veille. "Il nous a rappelé l'importance d'être prêtre aujourd'hui", dévoile-t-il.
Quand un jeune fidèle se lève dans le public et se met à scander "Papa Francesco" et que le public lui répond, dix fois plus fort, "Papa Francesco !", le miracle survient enfin. La papamobile fait son apparition dans le Stade Vélodrome. À l'intérieur, François salue la foule. Son véhicule s'arrête même pour lui laisser le temps d'embrasser un bébé qu'on lui passe théâtralement. Même Beyoncé, qui se produisait au même endroit il y a quelques mois, n'a pas eu cet honneur. À la vue du chef de l'Église catholique, Anne-Marie Audel crie de joie et sort son téléphone pour filmer son passage devant la tribune. "J'ai des palpitations depuis tout à l'heure", dit-elle, alors qu'elle se rassoit pour reposer sa jambe.
Commence ainsi une messe format XXL présidée par le souverain pontife, assis sur son trône blanc, à côté d'une gigantesque croix. Mélangeant prières en français et lectures en italien, cette cérémonie, qui se veut internationale, devient quelque peu frustrante pour ceux qui ne comprennent pas la langue papale et n'arrivent pas à lire sur les grands écrans (en réalité assez petits) où sont diffusées les traductions. Chantal Mangin-Duventru, assise à quelques sièges d'Anne-Marie, triche un peu et suit l'allocution du Pape sur son téléphone portable. "C'est merveilleux de le voir à Marseille", s'enthousiasme-t-elle.
Le Pape des migrants
Plus que voir le Pape, c'est François que les Antillaises sont venues acclamer. "Je pense qu'il est dans le bon", juge Agnès Maspimby, une autre dame originaire de la Martinique, venue avec sa fille Noémie, 22 ans. Le discours de l'Argentin était particulièrement attendu, tellement sa parole est devenue politique, plus que dogmatique. En pleins débats sur l'immigration clandestine, à l'origine de nombreux drames dans la mer Méditerranée, François apporte une lumière d'humanisme alors que les États européens s'écharpe sur l'attitude à adopter face aux migrants. "Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par le fanatisme de l’indifférence", disait-il vendredi soir, après son arrivée dans la cité portuaire, lors d'un déplacement au mémorial en l’honneur des marins et des migrants morts en mer.
Pape des migrants, Pape des plus faibles, Pape de la paix... Au Vélodrome, François a eu un mot pour les victimes des attentats terroristes en France, pour les Ukrainiens, mais aussi pour les personnes âgées. Pourtant, sur les questions de société, le catholique n'est plus si novateur qu'il ne l'était il y a quelques années. Au grand dam d'Agnès, qui aimerait qu'il aille plus loin dans les réformes de l'institution. Elle évoque la question du mariage des prêtres, par exemple. "Les derniers scandales [sur la pédocriminalité dans le monde religieux, NDLR] ont beaucoup affaibli l'Église", regrette-t-elle.
Accueilli comme une rockstar par un public marseillais chauvin, le Pape a conclu sa messe en implorant ses fidèles en français : "N'oubliez pas de prier pour moi." Une fois François reparti en fauteuil roulant, les Antillais du public, enjoués et enivrés par cette rencontre papale unique, se sont mis à danser avec le reste du public en attendant que les portes de sortie s'ouvrent. Marie-Ange Silmar, arrivée de la Martinique le matin même, raconte avoir pleuré en voyant François. S'éloignant du Vélodrome, elle assure d'un œil malin ne pas être fatiguée, même après son long voyage. "L'action du Seigneur", rappelle-t-elle avant de s'éclipser.