Méthamphétamine en Polynésie : un problème social insuffisamment pris en compte, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives

En mars 2022, les forces de l'ordre saisissaient 21 kilos d'ice à Raiatea, en Polynésie, à bord d’un paquebot de croisière
En Polynésie, la méthamphétamine, dénommée "ice" localement, s’est progressivement imposée sur le marché de la drogue en dépit de son coût élevé. Elle révèle aussi les problèmes d’addiction sur le territoire, dus essentiellement à des causes sociales, et le caractère insuffisant d’un tout répressif, d’après une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

On l’appelle "ice" en Polynésie. Cette méthamphétamine, qui entre dans la catégorie de substances comme la MDMA/ecstasy et les amphétamines, est désormais la plus répandue au niveau mondial après le cannabis et les opioïdes, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC). Considérée comme stimulante et euphorisante, elle se présente sous forme de poudre, qui peut être avalée (par exemple en cachets), inhalée ou injectée, mais également fumée sous forme de cristaux dans des pipettes en verre. C’est cette forme cristalline plus puissante qui est utilisée sur le marché polynésien, faisant des ravages parmi certains segments de la population.

Déjà présent mais marginal à la fin des années 90, le trafic s’est développé dans l’archipel à partir des années 2000, relève l’étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT, juin 2022). La majeure partie de l’ice écoulée en Polynésie est issue de laboratoires situés au Mexique. Les importations ont généralement lieu depuis les États-Unis, grâce aux liaisons aériennes avec Los Angeles et dans une moindre mesure Hawaï, où de nombreux Polynésiens disposent de réseaux familiaux ou amicaux. Les acheminements prennent plusieurs aspects : dans les bagages par avion ou paquebots, in corpore (drogue ingérée dans des préservatifs par exemple puis évacuée à l’arrivée), et enfin par voie postale dans des lettres ou des colis. Quelques laboratoires de fabrication locale ont existé un certain temps mais ont tous été démantelés.

Malgré son prix très élevé (dans la rue, une dose de 0,04 gramme coûte 10.000 francs CFP, c’est-à-dire 80 euros), cette drogue connaît un succès croissant sur le marché polynésien. Dans un contexte marqué par de fortes inégalités, le commerce de l’ice représente alors une ressource économique conséquente.

Observatoire français des drogues et des tendances addictives

Beaucoup de personnes se lancent en effet dans le trafic à cause de difficultés financières et pour améliorer leurs conditions matérielles. "À cet égard, le fort niveau d’inégalités sociales à Tahiti constitue sans nul doute un facteur qui explique l’attrait de la vente d’ice" souligne le rapport de l’OFDT. Ceci justifie aussi le caractère très peu professionnel du trafic. La majeure partie des personnes poursuivies sont sans emploi (45%). Parmi celles qui déclarent une profession, la majorité relève des catégories employés (19%) et ouvriers (8%). Néanmoins des réseaux de trafiquants structurés se mettent de plus en plus souvent en place, associant éventuellement la vente d’ice à celle de "paka" (cannabis), permettant d’engranger plusieurs dizaines de milliers d’euros mensuels.

Au niveau de la consommation de méthamphétamine en Polynésie, le phénomène est encore très peu documenté sur le plan épidémiologique, et les seules données disponibles portent sur les mineurs. "En 2009, 1,7% des jeunes scolarisés (12-19 ans) déclaraient avoir déjà pris de l’ice ou des amphétamines. En 2016, ce pourcentage a doublé, puisque 3,3% des 13-17 ans déclaraient avoir déjà consommé de l’ice", rapporte l’étude. Selon celle-ci, les adolescents ne représentent pas la catégorie d’âge la plus concernée par la consommation, d’autres éléments concordants (entretiens avec les consommateurs, données judiciaires, examens toxicologiques effectués à la demande du Parquet, etc.) suggérant plutôt un pic de la consommation chez les 25-35 ans. Dans tous les cas, le problème est suffisamment inquiétant pour interpeller les professionnels de santé ainsi que les autorités politique, policière et judiciaire.

Quantités d’ice saisies par les forces de l’ordre en Polynésie entre 2010 et 2020


Après des années d’invisibilisation de la question de l’ice, la médiatisation du problème, la libération de la parole des victimes d’addiction, l’augmentation des saisies et "parce que l’ice finit par apparaître comme un trouble à l’ordre public ne pouvant plus être ignoré", les élites politiques et administratives ont fini par agir. En 2021, le Haut-Commissariat et la Présidence du territoire ont élaboré un plan d’action entièrement dédié à "combattre le fléau de l’ice", selon leurs propres termes.

Insuffisant pour l’OFDT qui conclut dans son rapport : "Cette présentation du phénomène de l’ice en tant que fléau renvoie à un cadrage fondamentalement répressif. Ce cadrage du problème et les solutions qui y sont associées occultent d’autres dimensions essentielles pour comprendre et lutter contre ce phénomène. En premier lieu, le rôle des inégalités sociales, particulièrement fortes en Polynésie française, n’est presque jamais pris en compte. De plus, l’ice est rarement considérée dans les discours médiatiques et politiques comme un problème de santé publique. Ainsi, l’accompagnement social et l’offre de soin demeurent les parents pauvres de la lutte contre la drogue. Or, seule une politique sociale et sanitaire ambitieuse semble à même de pouvoir apporter une réponse durable aux problèmes d’addiction en Polynésie française."