"Maman m’avait prévenu : ne leur fait jamais confiance à ceux-là, ces vieux chiens sales !" C’est ainsi qu’Eli accueille un homme sale, puant et en guenilles, rejeté par la mer sur son île. L’homme est son ami d’enfance, mais la jeune femme le rejette et l’accuse d’avoir trahi les siens.
Ceux qui partent, ceux qui restent
Parti loin de chez lui pour étudier et travailler en tant qu’ingénieur, le jeune homme revient dans son île après dix ans d’absence. Mais au lieu de se poser avec douceur dans ce qu’il croit être son pays, il se heurte à un monde qui lui est hostile et inconnu. "Mon Eli", la dernière création du Réunionnais Paul Francesconi, raconte le combat d’un homme qui cherche à retrouver sa place, sa mémoire et même son âme dans son pays d’origine.
Face à ce personnage, il y a Eli, celle qui n’a pas eu d’autre choix que de rester dans son île pour s’occuper de sa mère. C’est la comédienne guyanaise Chara Afouhouye, étudiante au Conservatoire nationale supérieur d’art dramatique de Paris, qui incarne la jeune femme.
Eli, elle est restée sur son île. Moi, je suis partie. Ça me donne l’occasion de voir comment ça se passe pour ceux qui sont restés, comment ils se sentent. En fait, plus les années passent, plus t’oublies. T’oublies ta langue, t’oublies chez toi. Quand tu reviens, c’est jamais pareil. Eli m’a beaucoup appris sur ceux qui sont restés.
Chara Afouhouye
Un conte
Le décor de la pièce, très féérique, laisse apparaître trois autres personnages, muets, qui bougent dans un paysage de végétation. Le texte et la mise en scène, à mi-chemin entre le réel et le mythe, font davantage penser à un conte qu’à un récit ancré dans une réalité contemporaine.
L’exil des Ultramarins
Et pourtant, cette île imaginaire ainsi que le thème du retour au pays font allusion, sans aucun doute, au départ des jeunes ultramarins dans l’hexagone. C’est d’ailleurs ce qu’a vécu l’auteur et metteur en scène de la pièce, le Réunionnais Paul Francesconi, parti faire ses études à Paris à l'âge de 19 ans, et qui s'est inspiré de son expérience personnelle pour nourrir son texte. Dans le public, Ornella, une jeune calédonienne de 22 ans, connaît bien ce parcours : "quand on nous envoie quelque part, surtout en métropole, on attend de nous de revenir avec quelque chose, mais tous ne réussissent pas. Je suis sans voix, cette pièce m’a beaucoup touchée".