Que s'est-il réellement passé dans la nuit du 24 au 25 avril sur le Pont-Neuf, en plein cœur de Paris ? C'est ce qu'essayent de déterminer les enquêteurs après que deux personnes ont perdu la vie et une troisième a été blessée, suite aux tirs d'un policier sur le véhicule à bord duquel elles circulaient. L'auteur des coups de feu, un fonctionnaire de 24 ans originaire de La Réunion, a été mis en examen pour homicide volontaire, violences volontaires ayant entraîné la mort et violences volontaires. Il aurait ouvert le feu suite à un refus d'obtempérer des passagers, qu'il soupçonnait d'avoir pris part à un trafic de drogue. D'après le policier, la voiture aurait alors foncé vers les agents, au nombre de cinq ce soir-là. Il invoque donc la légitime défense.
Dans le code de la sécurité intérieure sur la légitime défense, il est indiqué que les policiers sont autorisés à user de leur arme "en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée", et ce dans plusieurs cas. Par exemple, si leur intégrité physique ou celle d'autrui est menacée, pour arrêter une personne ou un véhicule qui n'obtempèreraient pas à l'ordre d'arrêt et seraient "susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".
"Peur pour [sa] vie"
Or, cette hypothèse est écartée à ce stade de l'enquête selon des révélations de Mediapart, alors qu'une "mise en situation" pour reconstituer les faits est prévue sur le Pont-Neuf vendredi 17 juin. Et si les témoignages des policiers présents aux côtés du fonctionnaire réunionnais attestent qu'il s'agissait bien d'un contrôle pour des soupçons de trafic de stupéfiants, ils divergent sur le déroulé des tirs.
Peu avant minuit, un homme monte à l'arrière d'une Polo qui vient de faire demi-tour sur le Pont-Neuf pour y stationner à contre-sens. La brigadière-cheffe raconte s'approcher de la vitre du conducteur et signaler sa présence avec une lampe torche. Selon elle, ce dernier, surpris, remet aussitôt le contact et démarre. La brigadière-cheffe s'accroche quelques secondes à la portière pour tenter de tourner le volant mais renonce. Le policier réunionnais déclare alors avoir tiré, voyant sa collègue traînée par le véhicule et ayant eu "peur pour [sa] vie" à lui. Lors des premières auditions, il raconte avoir visé le pare-brise. C'est là que les versions divergent. A-t-il tiré avant que le véhicule démarre ou juste après, comme il le dit ? A-t-il uniquement visé le pare-brise ? À quelle distance se trouvait la voiture ?
Dix impacts de balles
"Alors que j’étais encore accrochée à la portière, j’ai entendu des détonations et j’ai senti le souffle des balles au niveau de mon oreille droite", explique la brigadière-cheffe aux enquêteurs, rapporte Mediapart. Un de ses collègues s'accroupit au sol lorsqu'il comprend qu'il se trouve également dans la trajectoire de l'arme. Un troisième raconte s'être mis devant un passant allongé au sol pour le protéger, avec son gilet pare-balles et son arme déverrouillée, mais aussi pour se protéger lui-même, "ne sachant toujours pas d'où les détonations pouvaient provenir".
J'ai entendu un gros bruit d'accélération et dans le même temps j'ai entendu deux détonations. (…) C'était un contrôle banal. [C'était] surréaliste d'entendre les détonations.
Celui-ci estime lui aussi que les tirs n'ont pas fait suite au démarrage de la voiture mais "ont été simultanés, voire l'ont précédé". Un témoignage qui vient contredire la thèse de la légitime défense, tout comme les impacts des balles relevés sur la voiture. Lors de sa première audition, le policier a indiqué avoir tiré "4 ou 5 fois" sur l'avant de la Polo. Or, d'après les premières analyses, dix balles ont été tirées. Des impacts ont été relevés à l'avant, soit suite à des tirs de face, mais aussi sur le côté et sur l'arrière, alors que la voiture avait dépassé le policier et ne représentait plus, de ce fait, un danger. Ce sont ces derniers tirs, selon les médecins légistes, qui ont provoqué la mort des deux passagers.
Le décès [du conducteur] était dû à une ogive découverte dans le crâne avec une entrée arrière.
rapport de l'IGPN
Distance et position mises en doute
Un flou subsiste encore sur la position exacte des policiers. D'après les premiers éléments de l'enquête, le fonctionnaire originaire de La Réunion n'a pas été en mesure de préciser où il se trouvait, ni ses collègues qui eux-mêmes se contredisent. Il se serait trouvé dans la trajectoire de la voiture, tout comme un autre collègue qui lui a pu s'écarter. Pouvait-il lui aussi s'écarter ? Pourquoi a-t-il eu le réflexe de tirer ?
D'autant que des témoins rapportent que le policier ne se trouvait pas vraiment en face du véhicule, mais plutôt côté conducteur et sûrement à plus de dix mètres.
La mise en situation prévue vendredi devrait permettre d'éclaircir la question de sa position au moment du démarrage de la voiture. Un point crucial pour déterminer si la légitime défense pouvait être invoquée. En attendant la suite de l'enquête, le policier, "anéanti", est retourné vivre à La Réunion, privé d’arme par son contrôle judiciaire, avec l'interdiction d’exercer son métier au contact du public et de fréquenter ses anciens collègues. Contacté par Outre-mer la 1ère, son avocat Me Laurent-Franck Liénard n'a pas souhaité s'exprimer.