C'est sur son île d'origine que Rahamatou Soultoine a enterré son fils, fin août, à Poroani dans la commune de Chirongi. À peine de retour à Nîmes, elle souhaite déjà repartir. "Je veux retourner à Mayotte, le plus tôt possible", confie-t-elle par téléphone (la famille n’a pas souhaité rencontrer de journalistes). Le quartier réveille de vieux démons et l'empêche de faire son deuil tranquille.
Car le quartier Pissevin de Nîmes n'est plus celui qu'elle a connu, quand elle s'y est installée en 2009, après avoir vécu à Limoges. "À l’époque, c’était un quartier tranquille, mais la situation a empiré d’année en année." Après la mort de son fils Fayed il y a trois mois, cette bénéficiaire des minima sociaux ne sort plus du tout de chez elle. "Il y a eu beaucoup de policiers et de journalistes après le drame, donc les choses se sont un peu calmées. Les dealers auraient changé de quartier."
Les familles restent confinées chez elles
Pourtant, les guetteurs sont encore bien présents et une certaine tension règne dans le quartier Pissevin. Peu nombreuses sont les personnes à oser s'attarder sur l'esplanade, là où Fayed a perdu la vie, le 21 août dernier. Il n'avait que 10 ans. "J'ai des petits frères et des petites sœurs, mais on ne les fait pas sortir", précise une jeune Mahoraise, ancienne babysitteur de Fayed. "La nuit surtout, ça fait très peur. Je n'aime pas trop vivre ici", ajoute une autre Mahoraise, arrivée de Brest il y a à peine 6 mois et jeune maman d'un bébé de 10 mois.
La sécurité de leurs enfants, c'est ce qui préoccupe le plus les habitants de ce quartier à la forte communauté mahoraise et comorienne. Pour la plupart, ils ont d’ailleurs quitté Marseille pour trouver un endroit plus paisible où vivre. Tous les matins, après avoir déposé leurs enfants, à pied, à l'école d'à côté, les mères de famille se retrouvent quelques minutes sur l'esplanade pour discuter.
"Malgré le drame, je veux rester ici car toute ma famille vit à Nîmes", raconte une Comorienne, mère de sept enfants. Surtout que ces derniers temps, la police est plus présente que d'ordinaire : "Toutes les 2-3 h environ, ils viennent voir dans le quartier. Même parfois en pleine nuit". Mais pas de quoi rassurer tout le monde pour autant... "Je ne dors pas bien. Je reste à l’intérieur tout le temps et je demande à mon grand fils de récupérer les plus petits à l’école", raconte une de ses consœurs. Celle-ci est aussi membre d'une association culturelle - Niya Ndjema - qui continue de proposer des activités, "même si pour l'instant, c'est moins souvent qu'avant".
La solidarité de la communauté mahoraise et comorienne
L'Unic (Union nîmoise pour l’insertion et la culture), elle, est toujours active en ce mois de novembre. C'est ce qu'explique une jeune femme en service civique dans l'association : "Malgré les récents évènements, on veut rester dynamique pour faire vivre le quartier et lui donner une meilleure image". D'ailleurs, ce matin-là (jeudi 16 novembre), ses membres organisent un repas, dont les bénéfices serviront pour des projets humanitaires aux Comores. Plus tôt cet automne, l'association a pris part à des marches en hommage à Fayed. Il existe huit associations de la communauté mahoraise et comorienne rien que dans les quartiers Pissevin et Valdegour.
Ces quartiers de la cité gardoise rassemblent à eux deux plus de 15 000 habitants. Après la mort du jeune Mahorais, l'activité y a été sensiblement réduite. La tuerie qui a coûté la vie à Fayed a été le point d'acmé d'une série de crimes et délits en tout genre depuis janvier. Plusieurs employés municipaux avaient ainsi exercé leur droit de retrait. Conséquence : les bus et les éboueurs ne sont plus passés pendant deux mois. La médiathèque, elle, ferme maintenant une heure plus tôt, à 16 h, avant la tombée de la nuit...
"C'est une année noire pour le quartier. Les gens ressortent depuis deux semaines seulement", constate Christelle Mélen, chargée du public au CACN, seul centre d'art contemporain de France installé en ZUP (zone à urbaniser en priorité) et habitué à accueillir des groupes scolaires.
Un groupe vient d'ailleurs de sortir du musée. Ce sont des enfants de l'AFEV (l'Association de la fondation étudiante pour la ville), qui propose aux jeunes de s'engager contre les inégalités. Ilham Al Mchaali est animatrice en service civique : "Les enfants et le quartier ont besoin d'activités, de sortir... Au début, ça faisait peur. Les bus ne passaient plus dans le quartier, ce n’était pas pratique, mais ça a repris donc ça permet de reprendre une vie normale." L'association a même prévu un atelier prochainement. Il sera dehors sur la voie publique. Symbole d'un quartier qui veut continuer de vivre et ne pas se laisser écraser par la terreur des gangs.