"Murmures des décasés" est un un cri du cœur. Une pièce de théâtre qui prend aux tripes de Djodjo Kazadi, concepteur, chorégraphe et directeur de la Fabrique artistique Le Royaume des Fleurs. "À mon arrivée à Mayotte, énormément de choses me parlaient, je voyais plein de couleurs, j'étais choqué par la beauté des paysages, explique-t-il. J’ai tout de suite aimé Mayotte et je voulais y trouver ma place, m’intégrer, faire partie de cette société. C’est ainsi que je suis allé à la recherche de cette île, de sa population, car je ne voulais pas être l'étranger. Je suis devenu celui qui pouvait faire lien et petit à petit j’ai senti dans mon corps que je devais mener un travail sur place. C’est par la danse que je parle et que je voulais transmettre. Cette île je l’aime, il y a plein d'énergie. Outre les Mahorais, il y a ici différentes cultures ; des Mzungus, des Africains, des Mozambicains, des Malgaches, des Comoriens, des Réunionnais et j’en passe… Il y a ici un magnifique melting-pot. Et pourtant, il y a des murmures. Ceux qui parlent du bon et ceux qui parlent du mauvais".
Djodjo Kazadi est le directeur artistique de la compagnie Kazyadanse, un espace de recherche et de création articulé autour de la danse, du théâtre, de la musique et des Arts plastiques.
Tradition, modernité et vivre-ensemble
Pour cette pièce de théâtre, la compagnie s’est déplacée avec plusieurs danseurs : Rayanti Saïd Baco, Abdoul Anziz Mohamed Bacar et Alifeyni Mohamed, mais aussi le comédien El Badawi Charif, impressionnant. Les voix de Nakib Ali Saïd et Christophe Lanquetin sont au rendez-vous. "Murmures des décasés" est servie par une superbe scénographie mise en place par Jean-Christophe Lanquetin. Le regard dramaturgique de la pièce est l’œuvre de Leyla Rabih.
Venue se produire durant une quinzaine de jours à Paris au Lavoir Moderne, la pièce de théâtre s’inspire des "manuscrits jamais édités mais souvent consultés" de Fundi Ali Saïd, un des tout premiers instituteurs de Mayotte. Alternant nostalgie d’un temps passé et une sorte de paradis fantasmé, "Murmures des décasés" est aussi l’évocation d’un présent vertigineux. "Je m’appelle El Badawi, je suis Mahorais, je suis Musulman, je suis Français. Je m’appelle El Badawi, je suis Français, je suis Musulman, je suis Mahorais et je parle le shimaore" martèle le comédien El Badawi comme pour rappeler au public sa double identité.
Je suis cette autre France qui veut être entièrement française, et non un Français entièrement à part. Et pour cela, on nous a donné un guide. Et dans ce guide, nous avons tout pour être conforme. Afin d’être Français. Il y a dans ce guide la construction des écoles, un guide qui est fait de feuilles de papiers qui s’éparpillent, alors on les colle pour ne pas les perdre.
El Badawi Charif, comédien
La mémoire et la tradition sont ici convoqués et confrontés à l’altérité, à l’étranger, à la modernité. À travers des chants et des danses traditionnelles revisitées.
Padala, la Voix de Mayotte ?
"Padala ! Padala ! Padala ! Tu es qui ? Tu n'es pas d’ici, ça se voit à ce que tu portes ! Tu as un corps ! Tu crois que ça ne se voit pas ! (…) Mon oncle me dit : il y a certaines réponses qu’on ne peut trouver qu’en rêve. Il y a des démons à vaincre", vocifère, en pleurant, un comédien habité et gagné par la fièvre et la folie peut-être.
Entre litanies de promesses politiques, identités complexes, espoirs de projets de développement, la pièce interroge le vivre-ensemble de Mayotte, une île plus que jamais ouverte aux chocs du Monde et sans cesse en évolution, plus encore depuis sa départementalisation. "Je vais à la rencontre d’une île en évolution constante. Chacun a son point de vue. C’est le regard d’une personne qui est allé à la rencontre de Mayotte et de ses Hommes. Un travail de questionnement, de rencontre dans l’espace, le temps, un travail aussi de transmission", termine Djodjo Kazadi. Après Paris, "Murmures des décasés" se produira au Festival d’Avignon, du 7 au 30 juillet 2022.