"Noirs en France", documentaire essentiel qui affiche les préjugés

Une petite fille, à qui l'on demande quelle poupée elle préfère, pointe la blanche. Extrait du documentaire "Noirs en France".
En racontant le racisme du quotidien mais aussi les espoirs et les victoires de Français noirs de tous âges, le film d’Alain Mabanckou et d’Aurélia Perreau entend déconstruire les stéréotypes.

On rencontre Maïly, une petite fille de 9 ans à qui on a déjà dit "tu es noire donc je ne joue pas avec toi". Kathy, une danseuse de 22 ans qui s’est vu rétorquer qu’il n’y avait "pas de cours de Hip-hop" lorsqu’elle s’est présentée au conservatoire pour s’inscrire en danse classique. Ibrahima, un adolescent contrôlé par la police alors qu’il faisait un simple jogging. Laeticia, une haute fonctionnaire qu’on confond régulièrement avec sa collaboratrice blonde. Didier, un aide-soignant guadeloupéen qui sent le recul de certains patients dont le corps se raidit quand il leur prodigue des soins. Ou encore Oumarou, qui préfère laisser sa compagne blanche réserver pour être sûr d’obtenir une chambre d’hôtel.

Exclusion en primaire, humiliation à l’adolescence, discrimination au travail, coups d’œil méfiant sur les couples mixtes… Le documentaire "Noirs en France", de l’écrivain Alain Mabanckou et de la réalisatrice Aurélia Perreau, pointe les injustices et les stéréotypes dont sont victimes les personnes noires dans la France d'aujourd'hui. La caméra suit longuement des anonymes, mais recueille aussi les témoignages de célébrités comme l’historien Pap Ndiaye, le tennisman Yannick Noah, l’acteur Jean-Pascal Zady, la journaliste martiniquaise Karine Baste ou le chanteur d’origine comorienne Soprano. Pendant un peu moins de deux heures, le film va et vient entre histoire du racisme et vie quotidienne contemporaine.

Aurélia Perreau, co-réalisatrice du documentaire, souligne l’importance du mouvement Black Lives Matter - "les vies noires comptent" - né aux Etats-Unis après le décès de George Floyd, un afro-américain de 46 ans mort étouffé sous le genou d’un policier en mai 2020. "À ce moment-là il y a eu une libération de la parole et on s’est dit que c’était important de recueillir cette parole, pour essayer de comprendre. Être noir en France en 2021 ça voulait dire quoi ?, explique-t-elle. On s’est rendu compte que, quelles que soient leurs histoires, tous avaient vécu, à tous les âges, les mêmes discriminations, les mêmes injustices, les mêmes mots, les mêmes regards."

Une discrimination spécifique visant les populations ultramarines ?

Mais les préjugés et les obstacles que rencontrent les noirs sont-ils exactement "les mêmes" quand on est d’origine africaine ou d’origine ultramarine ? Plusieurs éléments historiques peuvent "faire ressentir de manière encore plus cruelle cette question de la discrimination quand on est issu de l’espace ultramarin", estime François Durpaire, historien à l'université Cergy-Pontoise, auteur notamment de France blanche, colère noire et co-auteur de La révolution antillaise.

"Le statut de citoyen va être donné aux Antillais avant la majorité des Africains, rappelle l’historien.  ‘Je subi une discrimination or je suis Français parmi les Français’, c’est une question qui peut tarauder beaucoup de personnes issues de cet espace ultramarin." La question du statut social se pose aussi: "Historiquement en France, il y a une bourgeoisie noire qui est surtout issue de cet espace ultramarin. Des médecins, des avocats, des écrivains… Et ça depuis la fin du XIXe siècle. Donc cette bourgeoisie noire, antillaise par exemple, a un ressenti de discrimination particulier parce qu’on a un statut social qui pourrait nous laisser croire qu’on échappera à toute forme de discrimination."  Le troisième point concerne l’action des pouvoirs publics et, en particulier, de l’Etat colonial, qui a su "diviser pour mieux régner", en nommant par exemple des gouverneurs d’origine guyanaise dans l’espace colonial africain. 

Difficile donc d'évaluer l'impact de ces différences historiques sur les stéréotypes racistes de la France de 2022. "Je ne peux pas vous dire ‘tel chercheur a étudié avec finesse les préjugés à l’égard des Antillais, ceux à l’égard des Tahitiens et ceux à l’égard des Sénégalais’. Si on était dans une université américaine, on aurait sans doute des thèses et des articles, indique François Durpaire. On ne peut pas répondre suffisamment à ces questions parce que, précisément, c’est un objet qui est jugé illégitime."

Le documentaire "Noirs en France", diffusé à 21h10 sur France 2, est déjà disponible sur france.tv. La diffusion sera suivie d’un débat animé par Julian Bugier, auxquels participeront, entre autres, l’actrice Firmine Richard et Frédéric Régent, historien spécialiste de l’histoire de l’esclavage.

Retrouvez l’interview d’Aurélia Perreau, co-réalisatrice du film, par Jean-Michel Mazerolle :

Reportage sur le documentaire diffusé sur France 2 "Noirs en France"