"Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville" : Manuel Valls présente le projet de loi d'urgence à la presse

Le ministre des Outre-mer Manuel Valls à l'issue du conseil des ministres où il a présenté le projet de loi d'urgence pour Mayotte, le 8 janvier 2025.
Le projet de loi d'urgence pour Mayotte a été présenté ce mercredi 8 janvier en conseil des ministres. Le ministre d'État des Outre-mer Manuel Valls a ensuite répondu à la presse. Entre phrases choc et langue de bois, voici ce qu'il faut en retenir.

Les indiscrétions révélées par Mayotte la 1ère étaient exactes : le projet de loi d'urgence pour Mayotte contient en effet 22 articles répartis en chapitres contenant plusieurs mesures exceptionnelles et dérogations pour faciliter et accélérer la reconstruction du département ravagé par le cyclone Chido.

L'EPFAM co-présidé par le Département ?

Jusque-là, l'exécutif avait parlé de créer un établissement chargé d'orchestrer les travaux de reconstruction, sur le modèle de ce qui avait été fait pour la cathédrale de Notre-Dame de Paris.

Finalement, il a fait le choix de confier cette mission "à un établissement public", établissement qui va absorber un organisme existant, l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (l'EPFAM).

La tâche de "préfigurer cet établissement" a été confiée au général Pascal Facon, gouverneur militaire de Marseille. Ce dernier doit se rendre à Mayotte pour "rencontrer les élus et s'appuyer sur les travaux de la mission actuelle en cours de plusieurs inspections", a détaillé Manuel Valls.

Interrogé par Outre-mer la 1ère sur le nom du futur président de cet établissement, Manuel Valls a laissé entendre de façon sibylline qu'il y aurait une co-présidence :

Je souhaite à la fois que ce soit le bras armé de l'Etat auxquels les élus soient associés. S'il y a une collectivité qui doit être pleinement associée, c'est le conseil départemental. Et si le conseil départemental est pleinement associé, le président de ce conseil départemental doit jouer un rôle important.

Manuel Valls

à Outre-mer la 1ère

Le choix de l'EPFAM pourrait en tout cas faire réagir dans l'archipel, souligne Mayotte la 1ère, car l’établissement public actuel est accusé de "spolier les Mahorais".

Expropriation et reconstruction...

Plusieurs articles permettent de faciliter la reconstruction, en accélérant par exemple l'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme (article 7), en habilitant le gouvernement "à déroger par ordonnance à certaines règles auxquelles sont soumises les constructions de bâtiments" (chapitre 2).

Le chapitre 6 prévoit "des adaptations et des dérogations pour 24 mois aux règles de la commande publique, là encore pour simplifier et accélérer les procédures".

Dans cette même idée de "faciliter les opérations de reconstruction et de relogement", le gouvernement pourra "légiférer par ordonnance pour adapter les règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique". "Il s'agit de s'ajuster à la situation de Mayotte où il est souvent très difficile d'identifier formellement les propriétaires de terrain", explique Manuel Valls. Une expropriation cependant crainte par une partie des Mahorais, signale Mayotte la 1ère.

Interrogé par Outre-mer la 1ère sur l'inquiétude des Mahorais qui craignent que cette reconstruction soit confiée à des entreprises réunionnaises et pas locales, le ministre des Outre-mer privilégie la voie de la collaboration. Rappelant que "beaucoup de ces petites et très petites entreprises ont été détruites" par le passage du cyclone, il souhaite aider les entreprises locales mais "aussi que les entreprises réunionnaises" participent car elles ont connaissance "de la latitude" et des travaux post-cyclone.

 ... Mais avec quels matériaux ?

A également été posée de façon concrète la question des matériaux utilisés pour le relogement et la reconstruction. Manuel Valls a évoqué 100.000 m² de bâches qui "ont commencé à être distribués à partir du mardi 7 janvier afin de répondre aux besoins de la population et de prévenir les risques de pillage".

Il a par ailleurs parlé des préfabriqués : "S'il y a des modulaires, des Algeco, ce sera pour les fonctionnaires de l'État", et non pas pour l'hébergement d'urgence.

"La loi visera aussi à imaginer des formes de logement qui doivent être adaptées au climat, aux normes antisismiques et anticycloniques sur place", a-t-il ajouté avant de reconnaître un peu plus tard "que c'est l'un des dossiers les plus difficiles" à cause de la composition de la population à Mayotte.

Entre les Mahorais en situation de vulnérabilité, comme les femmes seules avec enfants, les étrangers en situation régulière et irrégulière, "il y a des publics très différents", pointe Manuel Valls. "Plusieurs dizaines de milliers vivent dans des bidonvilles, tous ne sont pas immigrés, c'est un dossier délicat", avance-t-il avec prudence.

Un dossier tellement délicat qu'il n'est pas encore dans le projet de loi. "Ce texte est encore incomplet", a-t-il indiqué espérant que le "débat parlementaire" permettra d'ajouter des mesures concernant la lutte contre l'habitat illégal. "Il nous faudra réfléchir à élargir les catégories d'agents pouvant constater les édifications illégales", cite-t-il comme exemple avant d'asséner :

Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville.

Manuel Valls

Le deuxième thème qui manque selon lui est "le blocage temporaire des loyers" qui "doit être envisagé pour qu'à l'horreur du cyclone ne s'ajoute pas l'indignité des profiteurs de crise".

Les deux fléaux qui rongent Mayotte

La question de l'habitat illégal a rapidement dévié sur celle de l'immigration irrégulière, "les deux fléaux" qui rongent Mayotte selon le ministre des Outre-mer.

"Si nous ne traitons pas cette question avec la plus grande détermination, tout ce que je viens de vous annoncer ne servira pas à grand-chose, et nous pouvons alors nous attendre à une véritable implosion, explosion sociale", a-t-il prophétisé.

"La priorité, c'est la reconstruction des toits des Mahorais, nous n'allons pas donner une prime à l'immigration irrégulière", a-t-il insisté plus tard lors du point presse, indiquant qu'il prendra "des mesures fortes dans le second projet de loi (le plan Mayotte debout à venir dans trois mois, NDLR) en durcissant les conditions d'accès au séjour".

Interrogé par Outre-mer la 1ère sur le visa Balladur, ce visa obligatoire pour les Comoriens qui souhaitent venir sur l'île aux Parfums, Manuel Valls est très clairement contre la suppression de ce visa. Il a par ailleurs rappelé qu'un nouveau recensement de la population par l'Insee sera mené.

Suspension des cotisations

Le ministre des Outre-mer a enfin présenté le dernier chapitre du projet de loi qui regroupe "différentes mesures sociales" pour la plupart applicables jusqu'au 31 mars prochain. Parmi celles-ci :

  • La suspension du recouvrement des cotisations sociales
  • La suspension de l'application du recouvrement fiscal forcé pour les redevables mahorais
  • Le maintien des bénéfices, des droits et des prestations versés par la caisse de Sécurité sociale
  • L'augmentation de la prise en charge de l'activité partielle

"Le gouvernement travaille à l'activation des dispositifs d'urgence à destination des particuliers les plus vulnérables, des acteurs économiques ou des collectivités territoriales", a-t-il ajouté en mentionnant les fonds de secours d'extrême urgence et fonds de secours pour les Outre-mer.

Un soutien de l'État qui a nécessairement un coût. Sur cette question, Manuel Valls a en partie botté en touche, indiquant qu'il ne pouvait estimer pour l'instant ce que représentait financièrement le projet de loi d'urgence pour Mayotte.

Il a cependant avancé des chiffres de "un, deux, trois milliards d'euros" qui pourraient être nécessaires pour la gestion d'urgence et la reconstruction de l'archipel, spécifiant qu'il fallait "attendre l'ensemble des expertises qui remontent". "Quelles que soient les circonstances, nous ne laisserons pas tomber Mayotte", a-t-il assuré.