#NousPaysans : [Une histoire de la canne 3/3] La canne à sucre dans le Pacifique en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie

Vestiges de l’ancienne rhumerie d’Atimaono à Papara (Tahiti) en 1990

La plante est connue depuis des centaines d’années en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, ou les populations l’utilisaient pour leur consommation. L’exploitation industrielle de la canne sur le "Caillou" s’est soldée par un échec, tandis que sa culture connaît un regain d’intérêt en Polynésie.

Selon les scientifiques, la canne à sucre trouve son origine en Papouasie Nouvelle-Guinée. Au fil de migrations millénaires dans cette vaste région, c’est donc tout naturellement qu’elle est parvenue dans les îles de l’océan Pacifique, et plus généralement en Océanie, dans le Sud-Est asiatique, la Chine du Sud et l’Inde. Ainsi, la canne était connue et cultivée en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie bien avant l’époque coloniale. Dans ces deux territoires, des mises en valeur commerciales ont été tentées, avec des succès variables.

Tentatives avortées en Nouvelle-Calédonie

Sur le « Caillou », les colons ont essayé de cultiver de la canne à sucre à grande échelle à partir des années 1860. Ils font appel à des entrepreneurs sucriers réunionnais, des Bourbonnais comme on les appelle alors, qui détiennent le savoir-faire et les capitaux nécessaires. En outre, La Réunion traverse une crise sans précédent de son industrie sucrière, et la Nouvelle-Calédonie est considérée comme une terre d’opportunités. L’avantage, sur ce territoire, est que la canne existe et est cultivée depuis des centaines d’années par les Mélanésiens. On compte, sur la Grande Terre, plusieurs variétés de plants de très bonne qualité et il est donc inutile d’en acheter ailleurs. L’objectif des planteurs, qui rassemble des colons calédoniens et réunionnais, mais également quelques hommes d’affaires européens et les pères maristes (des religieux), est d’exporter du sucre vers l’Australie.

La première usine entre en fonction à Koé (région de Dumbéa) en septembre 1865. Un an plus tard, elle commence à exporter des tonneaux de sucre vers le voisin australien. Au total, entre 1865 et 1884, sept sucreries ont fonctionné dans le Sud-Ouest de la Grande Terre, mais cinq projets ne voient jamais le jour. Certaines usines produisent un rhum de bonne qualité. La main d’œuvre est constituée d’Européens, ainsi que de travailleurs recrutés en Inde et à La Réunion (« Malbars ») et en Chine. Une petite partie d’ouvriers est également fournie par le bagne de l’administration pénitentiaire.

Usine Joubert à Koé-Dumbéa à l’époque de son fonctionnement

 
Malgré un fort optimisme de départ, l’industrie sucrière calédonienne va inexorablement décliner à partir de 1875. Plusieurs facteurs conjugués sont en cause. Climatiques, avec des sécheresses qui engendrent notamment des invasions de sauterelles pouvant ravager des hectares de plantation en quelques heures, ou au contraire inondations qui déracinent des pieds par centaines. Economiques ensuite, avec des investissements insuffisants pour toute une batterie de machines : moulins, turbines, chaudières, pompes etc. Ces appareils deviennent obsolètes, et, non remplacés, les pannes sont fréquentes, entraînant des ralentissements sinon l’arrêt de la production. La main d’œuvre, non servile comme à La Réunion par exemple, pèse aussi beaucoup sur les frais de fonctionnement. Enfin, la grande insurrection kanak de 1878 ravage complètement certaines zones de production sucrière comme à Bourail ou la région de Ouaméni. L’aventure sucrière calédonienne se terminera définitivement en 1900 avec la fermeture de la dernière usine en activité, celle de Bacouya. 

Le renouveau de la canne en Polynésie

Comme en Nouvelle-Calédonie, la canne à sucre n’était pas inconnue des Polynésiens. Au XVIIIe siècle, les récits des explorateurs européens font état de champs de cannes dans des îles de l’archipel, dont le peuplement a commencé quelque 2000 ans avant J.C. ! Il existait de nombreuses variétés de canne. Selon les agronomes locaux, ces variétés ancestrales sont dites « nobles », c’est à dire non issues d’un processus d’hybridation. Les habitants la consommaient dans leur alimentation, l’emportaient lors de longs déplacements pour calmer la faim et la soif, et l’utilisaient en médecine traditionnelle. Dans la deuxième moitié du XIXe, des plantations voient le jour à Tahiti, Papara, Pirae et Moorea, où travaillent de nombreux travailleurs chinois, ainsi qu’une une sucrerie à Taaone et une rhumerie à Atimaono. Pourtant, la canne à sucre disparaît du paysage agricole de la plupart des îles de Polynésie française, il y a soixante-dix ans environ, quelques pieds subsistant néanmoins dans des jardins de particuliers.

Plantation de canne à sucre dans la plaine côtière de Pirae vers 1900

 
Selon le site Internet Tahiti Héritage (une encyclopédie collaborative du patrimoine polynésien), « la variété indigène O’Tahiti de canne à sucre a été exportée par Bougainville en 1768, à l’île Maurice, à l’île de La Réunion puis sur le continent américain. Cook la diffusa dans les colonies anglaises et Bligh en Jamaïque. Cette variété a également été introduite en 1792 en Amérique et en 1796 au Brésil, pour remplacer la variété créole, puis en 1843 à Hawaii. De 1820 à 1850, la variété O’Tahiti est la principale canne à sucre cultivée dans le monde. Elle sera par la suite remplacée par des variétés hybrides plus résistantes aux maladies et plus productives. »

Depuis quelques années, la canne à sucre est de nouveau exploitée dans l’archipel, en particulier pour en faire du rhum. C’est notamment le cas à Taha’a, où une trentaine d’agriculteurs en cultivent, sans pesticides ni engrais, pour la distillerie du Bordelais Laurent Masseron, implantée sur l'île (voir vidéo ci-dessous). Un produit 100% bio donc, qui a obtenu une médaille d’or au Concours général agricole dans la catégorie Rhums et Punchs au Salon international de l’agriculture à Paris, en février 2020. C’est d’ailleurs sur la filière rhum biologique que comptent les nouveaux producteurs polynésiens, avec des cannes non-hybrides provenant de pieds ancestraux cultivés selon les principes de l’agro-écologie, à savoir sans pesticides ni herbicides. Selon eux, cela procure à leur nectar un goût aromatique unique. Leur objectif est également de proposer un rhum bio labellisé.

♦ Vidéo : grâce à sa rhumerie, la canne revit dans l’île de Taha'a

 
Pour aller plus loin

► Alain Saussol, « Des créoles sucriers en Nouvelle-Calédonie ou l'échec d'une économie de plantation (1859-1880) » - Journal de la Société des océanistes, n°82-83, tome 42 (1986) « Les plantations dans le Pacifique Sud », pp. 85-94.
► Alain Saussol, « La canne à sucre dans le bagne calédonien (1873-1894) » - Journal de la Société des océanistes, 114-115, année 2002.
► Le site Tahiti Héritage
Les Outre-mer, c'est quoi ? La Polynésie
(Outre-mer La 1ere)