Orpaillage illégal en Guyane : comment des réseaux chinois alimentent le trafic clandestin de l'or

Des soldats français du 9e RIMa sur un site d'orpaillage illégal sur l'anse de Sparouine, un affluent du fleuve Maroni, lors d'une mission de lutte contre l'orpaillage illégal, à Saint-Jean-du-Maroni en octobre 2021.
Une étude réalisée par la Fondation pour la Recherche Stratégique détaille les réseaux qui permettent aux orpailleurs clandestins de continuer à opérer illégalement en Guyane, malgré l'opération Harpie. Des comptoirs chinois installés sur les rives du fleuve Maroni, côté surinamais, permettent aux orpailleurs illégaux de poursuivre leurs chantiers.

L'opération Harpie menée depuis 2008 par la France contre l'orpaillage illégal sur le sol de la Guyane n'a pas permis d'éradiquer le phénomène. Une étude menée par la Fondation pour la Recherche Stratégique, publiée le 7 septembre 2023, montre de quelle manière les orpailleurs clandestins brésiliens qui prospectent illégalement sur environ 300 chantiers dans la forêt guyanaise, se fournissent en matériel auprès de comptoirs tenus par des commerçants chinois installés sur la rive surinamaise du fleuve Maroni. 

Le village d'Albina 2, l'un des "hub" de l'orpaillage illégal, vu de Maripasoula, sur la rive française du fleuve Maroni

Face à la gendarmerie

Les 120 comptoirs chinois sont implantés sur la rive surinamaise du Maroni, en face de Saint-Laurent du Maroni et Maripasoula notamment. La FRS explique que l'un de ces comptoirs est même situé en face du poste de gendarmerie de Maripasoula. 

Dans ces comptoirs, les garimpeiros (les chercheurs d'or clandestins venus du Brésil) se fournissent en carburant, motopompes, mercure et quads, autant de matériels indispensables pour les chantiers clandestins d'extraction, cachés dans la forêt guyanaise. Autour de ces comptoirs, se trouvent des commerces illicites de toutes sortes : alcool, drogue ou prostitution.

L'étude de la FRS (disponible en cliquant par ici) détaille les mécanismes : les commerçants qui tiennent les comptoirs chinois côté Surinam fournissent le matériel et avancent parfois les frais aux orpailleurs illégaux. En retour, les garimpeiros sont contraints de traiter exclusivement avec ces comptoirs chinois, et de payer en différentes monnaies ou en pépites d'or, à des cours inférieurs à ceux des marchés mondiaux.

Selon les estimations des autorités françaises, rapportées par la FRS, il y'aurait environ 300 sites clandestins d'extraction d'or sur le sol guyanais, dans lesquels on dénombre environ 6.500 chercheurs d'or, à 95% brésiliens. 

Écoutez dans cette interview audio les explications de Simon Menet, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, qui avec son confrère Antoine Bondaz, a mené cette étude :

Les réseaux chinois

Selon l'étude de la FRS, si certains groupes miniers chinois sont bien légalement implantés au Suriname pour extraire de l'or (c'est le cas de la société Zijin Mining, premier producteur d'or en Chine, qui a acquis début 2023 pour 400 millions de dollars une mine au Suriname) , il n'y a pas à proprement parler d'implication de l'Etat chinois dans cette fourniture logistique aux opérateurs clandestins illégalement implantés en Guyane française. Mais les réseaux sont difficiles à tracer. "L'or qui est récupéré par des comptoirs est transféré à Paramaribo et ce sont d'autres acteurs chinois qui tiennent les comptoirs de rachat d'or. Cela assure une certaine mainmise sur le secteur", détaille Simon Menet. 

Vue aérienne du Maroni, en août 2023

Quelle efficacité pour Harpie ?

Malgré les 300 sites illégaux recensés sur le sol guyanais, la FRS estime que l'opération harpie menée depuis 2008 par les autorités françaises est efficace : un record de saisies a été opéré en 2022 : plus de 1500 motopompes, 187 quads, 132 moteurs hors-bord ont été récupérés lors des opérations menées par l'armée et la gendarmerie. Les garimpeiros travaillent désormais uniquement avec du petit matériel, il n'y a par exemple plus de pelleteuses sur les sites clandestins. Tout cela permet de "contenir le phénomène" de l'orpaillage clandestin, estime Simon Menet.

Mais le coût de ce trafic clandestin d'or reste élevé : on estime que près de dix tonnes d'or sont extraites illégalement chaque année. Le préjudice environnemental est considérable et au plan économique, il est estimé à plus de 500 millions d'euros par an pour l'économie locale et les finances publiques.

Découvrez ci-dessous le thread (sur X, ex-Twitter) d'Antoine Bondaz, co-auteur de l'étude :