PODCAST. Archipels du crime : L'affaire des "insurgés de Cayenne"

Archipels du crime, les insurgés de Cayenne
De l'année 1931, les livres d'histoire ont retenu une chose : l'exposition coloniale à Vincennes qui vantait les supposés mérites de l'Empire français. C'est pourtant un procès d'anthologie qui s'est déroulé cette année là du 9 au 21 mars. Quatorze Guyanais étaient accusés d'avoir pillé et tué des notables à Cayenne. Ces jours d'audience se sont transformés en plaidoirie retentissante pour l'égalité des droits civiques entre les habitants des colonies et les Français de métropole. Voici l'histoire des insurgés de Cayenne.

L'affaire des Insurgés de Cayenne débute le 6 août 1928. Ce jour là, un homme meurt dans des circonstances troubles. Son nom : Jean Galmot. Le personnage est tellement haut en couleur que l'écrivain et poète Blaise Cendrars a raconté sa drôle de vie dans un roman intitulé "Rhum". Jean Galmot est originaire du Périgord, c'est un homme d'affaires aux idées progressistes. Il a été journaliste est a pris parti pour Dreyfus. C'est aussi un aventurier passionné par l'Amazonie. En Guyane, il a fait fortune dans le mines d'or, le bois précieux et le rhum. Il a toujours eu à cœur de mieux redistribuer les richesses dans ce qui était encore une colonie française. Il est à l'époque très apprécié par les Guyanais, qui l'ont surnommé affectueusement "Papa Galmot". 

Un contexte politique colonialiste et corrompu 

En raison de ses discours sociaux et anticolonialistes, Jean Galmot est détesté par la bourgeoisie locale ainsi que par le gouvernement français. Cinq ans auparavant, en 1921, éclate "l'Affaire des Rhums". On l'accuse d'avoir accaparé le commerce des rhums réquisitionnés par l'armée. Il est arrêté à Paris en 1922 et incarcéré pendant dix mois à la prison de la Santé. Il est libéré en janvier 1922. Son procès se déroule en décembre 1923. Il est condamné à un an de prison avec sursis et à 10.000 francs d'amende. Galmot est ruiné.

Peu après, Jean Galmot se représente aux élections législatives de 1928. Sont alors au pouvoir trois hommes autocrates : le maire de Cayenne Eugène Gober, le gouverneur en place Camille Théodore Raoul Maillet et enfin le député candidat aux législatives Eugène Lautier. Sur fond de fraudes, Eugène Lautier remporte les élections. Déjà en 1924, le droit de vote des citoyens guyanais avait été ouvertement bafoué. La colère gronde.

Cayenne à feu et à sang 

Le 6 août de la même année, Jean Galmot meurt à Cayenne. La rumeur (probablement infondée) se répand : il a été empoisonné. Sa mort va être le point de départ d'émeutes violentes. Les insurgés mettent à sac plusieurs maisons de personnes jugées responsables de la mort de Jean Galmot, dont celles du Docteur Jean ou de l'ancien maire Gober, qui sera poussé à la démission. Trois personnes (Bougarel, Laroze et Clément) sont lynchés dans la rue par la foule, alors que deux (Jubel et Tébia) sont assassinés chez eux.

Une enquête délocalisée à Nantes

L’enquête sur place piétine, en raison de la loi du silence qui règne. La Cour de cassation décide de "dépayser" l’enquête et le procès, choisissant le tribunal de Nantes. L'enquête est alors reprise à zéro. En octobre 1929, 33 inculpés, 30 hommes et trois femmes, arrivent à la maison d'arrêt de Nantes. Leur avocat, Gaston Monnerville, se démène pour améliorer leurs difficiles conditions d'incarcération.

Les interrogatoires se poursuivent dans le bureau du juge Le Marchand. Le magistrat commande de nouveaux rapports médicaux sur la mort de Jean Galmot, des rapports qui achèvent de le convaincre de l'innocence de certains suspects. Au final, le juge va requérir le non lieu pour 22 des Guyanais incarcérés. Par contre, il en inculpe trois autres, qu'il fait venir de Guyane.

Un procès retentissant

Douze hommes et deux femmes, citoyens français de Guyane, sont finalement dans le box des accusés. Ils sont jugés pour assassinat et pillages en bande. Au cours des douze jours d'audience, les avocats de la défense, dont Henry Torrès, Alexandre Fourny et Gaston Monnerville, vont faire prendre conscience aux jurés, mais aussi à la France entière, que les Guyanais ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière, mais de seconde zone.

Dans une plaidoirie remarquée, Gaston Monnerville donne une orientation politique au procès en parlant d'esclavage et de colonialisme : il démontre la fraude électorale et revendique au nom de la mémoire de la traite négrière et du passé nantais, une "dette mémorielle" pour les accusés. Le 21 mars 1931, ils sont tous acquittés et retournent pour la plupart en Guyane, accueillis en héros. 

Une affaire qui forge le destin de Gaston Monnervile

Les Guyanais n'oublieront jamais cette affaire. Ils élisent Gaston Monnerville député en 1932, quelques mois après le procès. Cette élection marque le début du très long parcours politique. Gaston Monnerville deviendra notamment sous-secrétaire aux colonies, sénateur, puis président du Sénat. En 1946, il sera parmi les artisans de la départementalisation des "quatre vieilles" : la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion.

"Les insurgés de Cayenne", un podcast écrit par Léia Santacroce, raconté par Stana Roumillac
Réalisation Arnaud Forest accompagné de Karen Beun
Production originale Initialstudio avec la participation de France Télévisions
Durée 22 min - 2022