- AVERTISSEMENT : la violence des faits relatés peut heurter la sensibilité des auditeurs.
Le 6 mai 2006, le corps sans vie d'une jeune fille à demi-nue est découvert au matin à Faa'a. Akirina, 18 ans, était originaire de cette commune dans la grande banlieue ouest de Papeete. Ce sont des voisins qui ont découvert son cadavre dans un fossé près d'un pont, non loin de son domicile. Que s'est-il passé exactement ? Le scénario de l'horreur va se dessiner progressivement...
Le calvaire d'Akirina
Nous sommes donc début mai 2006. À Tahiti, c'est la fin de la saison des pluies. Akirina Tiori vient d'avoir 18 ans. Elle vit à Faaa, dans le quartier de Pamatai. Ses parents sont séparés, ils ont chacun refait leur vie et elle navigue d'un foyer à l'autre. Elle a des frères et sœurs, beaucoup d'amis, un petit copain qui joue de la guitare et une passion : la boxe. Mais la nuit du drame, ses poings ne lui seront d'aucun secours.
Ce vendredi soir, elle se plaint de maux de tête et en parle à sa belle-mère. Elle avale un cachet de paracétamol et décide de sortir retrouver son amoureux. Plus tard dans la soirée, son petit ami rentre chez lui et elle préfère rejoindre un petit groupe de connaissances sur la pelouse dite "du mombin", c’est un endroit connu pour être un lieu de beuverie. Mais contrairement à ses futurs agresseurs, Akirina ne touche ni à l'alcool qui circule ni au paka, comme on appelle le cannabis local.
Soudain, vers 23 heures, elle fait un malaise. On lira dans La Dépêche de Tahiti qu’elle est brusquement prise de spasmes, qu’elle ne tient plus sur ses jambes, que ses yeux sont vides et que de la bave sort de sa bouche.
De prétendus amis vont soi-disant chercher des secours, mais ils ne reviendront jamais. Akirina se retrouve alors à la merci de deux adolescents du groupe, ils sont à peine pubères. C'est là que commence son cauchemar : elle va subir un viol collectif, une "tournante".
Victime d'une "meute de loups"
Parmi les "loups", il y a d'abord eu les deux ados qu'on évoquait précédemment, puis un piéton de retour de Papeete qui passait par là, puis cinq ou six autres jeunes du quartier Souky et des quartiers alentour. Car le bruit s'est répandu très rapidement. Certains attendent leur tour, tout en cachant la scène aux copines d’Akirina, qu'ils éloignent à coups de cailloux.
La victime est semi-consciente, elle tente vainement de repousser ses agresseurs, dont certains sont des copains d'enfance, mais elle est trop faible pour se défendre. L'un d'eux reconnaîtra avoir vu une larme couler sur le visage de la jeune fille.
Mais le sordide ne s'arrête pas là. Un oncle d'Akirina, lui-même condamné par le passé pour viol en réunion, va prendre part aux événements. Il ne va pas abuser de sa nièce, mais aider des jeunes hommes à transporter son corps quelques dizaines de mètres plus bas, prétendument pour la mettre en sécurité.
Là, elle est de nouveau agressée par des garçons de sa connaissance, puis par deux inconnus qui rentraient de boîte de nuit. C'est l'un d'eux qui va se rendre compte que le corps est froid. Il se rhabille alors en vitesse et prévient un membre de la famille de la jeune fille, à qui il se gardera bien d'avouer ce qu'il vient lui aussi de faire.
Son corps dénudé et inanimé sera découvert le lendemain matin vers 6 heures. Les causes de sa mort seront établies rapidement grâce à l'autopsie : Akirina a été victime d'un accident vasculaire cérébral. Le médecin légiste estimera qu'elle a rendu son dernier souffle entre 2h30 et 5h30 du matin.
Grâce aux témoignages et aux analyses ADN, les forces de l'ordre retrouvent peu à peu les coupables. Et plus les semaines passent, plus le nombre d'inculpés augmente. Au total, ce sont 21 personnes qui vont être jugées.
Deux procès pour les auteurs du viol collectif
ll y aura deux procès. Le premier devant le tribunal pour enfants, le deuxième devant la Cour d'assises des mineurs, au palais de justice de Papeete.
Le premier débute en juin 2007, dix individus comparaissent à huis clos devant le tribunal pour enfants (car les accusés avaient moins de 15 ans au moment des faits). Tous seront reconnus coupables de non-assistance à personne en danger. Huit adolescents sont condamnés à un an de prison avec sursis et les deux autres sont condamnés à 3 et 5 ans pour viol aggravé.
À l'énoncé de ce premier verdict, le père d'Akirina, Luc Tiori, a pris dans ses bras les violeurs de sa fille. Il a déclaré se sentir soulagé par ce jugement et avoir pardonné à ces jeunes. "Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient". Leurs parents ne leur ont pas appris les choses nécessaires," rapportera La Dépêche de Tahiti.
Au deuxième procès, en septembre 2007, les accusés plus âgés – onze hommes au total, qui avaient entre 16 et 40 ans au moment des faits – présentent des profils en tous points similaires. On trouve notamment parmi eux l'oncle de la victime ainsi que deux membres d'une même fratrie, des pères de famille.
La plupart sont des voisins directs et des connaissances de la famille Tiori. Et à une exception près, tous sont sans profession. Les experts en psychiatrie parleront d'un "effet de meute". "J'ai vu les autres et j'ai eu envie de faire pareil", diront d'ailleurs certains en guise d'explication. Aucun trouble mental n'a été détecté, sauf chez l'un d'entre eux.
Les peines prononcées vont de 5 à 18 ans, pour viol en réunion sur personne particulièrement vulnérable, tentatives de viol, complicité de viol et attouchements sexuels.
La jeune boxeuse repose aujourd'hui au cimetière de Saint-Hilaire, à Faaa. Son père (décédé en 2020) et sa belle-mère ont continué à vivre à Pamatai, à quelques encablures des agresseurs de leur fille. La plupart sont désormais en liberté. La compagne du père d’Akirina les croise tous les jours...
Akirina Tiori, l’enfer d’un viol collectif à Tahiti un podcast écrit par Leia Santacroce et raconté par Rébecca Chaillon.
Réalisation : Karen Beun et Samuel Hirsch
Musique et sound-design : Samuel Hirsch
Production originale : Initialstudio avec la participation de France Télévisions
Durée 20 min - © 2023
Remerciements particuliers pour son aide au journaliste Paul Leclerc.