Podcast "L’Oreille est hardie". "LWA" : autopsie de l’inconscient colonial français

"LWA" de Camille Bernon et Simon Bourgade
"LWA", la pièce signée Camille Bernon et Simon Bourgade illustre de façon flagrante les fondements et les conséquences de la colonisation. De Haïti en 1791 aux tensions dans les banlieues en 2005, en passant par la guerre d’Algérie, chaque fois "LWA" s’appuie sur des textes d’époque pour démontrer les conséquences néfastes du fait colonial. Édifiant, instructif et réussi.

C’est sur les lieux de la création du spectacle LWA (prononcer Loa ), au théâtre Paris-Villette dans le 19eme arrondissement de la capitale que nous faisons connaissance avec ses deux concepteurs. Camille Bernon et Simon Bourgade se prêtent avec bonne grâce aux questions de L’Oreille est hardie alors que leur pièce se confronte au regard du public depuis quelques jours.


Et vu le sujet délicat, celui de la colonisation, et la façon dont ils ont choisi de l’aborder, on aurait pu déceler chez eux de la nervosité à l’idée d’expliquer les circonstances de la création de ce spectacle. On se serait trompé : tout est assumé et pensé depuis quatre ans. Écoutez-les évoquer LWA, autopsie de l’inconscient colonial français dans L’Oreille est hardie :

"LWA" à l'affiche du Théâtre Paris-Villette

2005, les banlieues s’embrasent

D’emblée, pendant que le public s’installe, le ton est donné : les comédiens nous replongent au cœur des circonstances qui conduiront aux émeutes dans les banlieues en 2005 (*pour rappel : deux jeunes de Clichy-sous-Bois Zyed et Bouna, poursuivis par la police, meurent électrocutés dans un générateur dans lequel ils s’étaient réfugiés). 

Une entrée en matière qui tourne en dérision à la fois les journalistes aux formules lapidaires et réductrices et à la fois les politiques aux discours simplistes, caricaturaux et par certains aspects, emplis de ce racisme ordinaire qui stigmatise à la fois les origines raciales et sociales des individus vivant dans ces quartiers populaires. 

"LWA" évoque la colonisation en Haïti

1791, Haïti

Puis par un jeu de mise en scène habile, on glisse d’aujourd’hui à hier : le temps remonte jusqu’à 1791, en Haïti (alors Saint-Domingue). À l’époque où cette terre était encore colonie française. L’un des acteurs vissé à sa chaise tel un prévenu dans un commissariat raconte un des épisodes de la révolte haïtienne mais en utilisant les mots de l’esclave Mackendal - pourtant exécuté avant les soulèvements de Bois-Caïman de 1791 - léger anachronisme mais assumé par le duo de metteurs en scène. 

Ce n’est pas tant ce qui est raconté, qui dit pourtant toute la cruauté que la colonisation pouvait amener sur ces terres qui n’avaient rien demandé à la France, qui fait froid dans le dos. C’est avant tout les mots employés qui glacent, des mots d’hier dont on constate toute l’actualité aujourd’hui.

"LWA" de Camille Bernon et Simon Bourgade

Le cas Hugo 

Autre évocation historique dont la portée fait écho aujourd’hui : tout d’abord, celle de Victor Hugo. Un comédien incarne l’écrivain français qui, tout grand homme de lettres humaniste qu’il soit, a produit un discours à l’écho particulièrement terrible aux oreilles d’aujourd’hui. Hugo y incite l’Europe à investir l’Afrique au nom de la lumière que l’une apporterait à l’autre. Discours pour le moins condescendant et illustrant une certaine idée de la supposée supériorité blanche…

La figure de Frantz fanon apparaît dans "LWA"

1957, L’Algérie et Fanon

Enfin, dernière plongée historique dans LWA : Algérie 1957, à l’amorce d’une guerre dont la France tardera à dire le nom. Un jeune psychiatre martiniquais y exerce, épousant la cause des Algériens en quête d’indépendance. Frantz Fanon développera les théories - et les faits - autour des traumatismes liés à l’oppression engendrée par la colonisation sur le peuple algérien. Fanon, figure plus qu’emblématique de la démonstration que Camille Bernon et Simon Bourgade souhaitent faire à travers ce spectacle.

"LWA" analyse le conséquences du colonialisme

L’esprit de LWA

Avec son titre mystérieux (qui l’est moins pour qui sait que le "Loa" représente dans la religion vaudou l’esprit des ancêtres qui accompagne et à qui l’on rend des comptes), LWA frappe juste. Juste assez fort, juste au bon endroit. 

D’aucuns pourrait estimer le message naïf mais Camille Bernon et Simon Bourgade souhaitent laisser les faits, les images, les textes parler d’eux-mêmes pour que le public saisisse les origines et les conséquences d’un système comme celui du colonialisme français. Permettre au spectateur de se faire son idée et de ne pas se fermer les yeux. 

Correctement politique… et intense

Il y a indéniablement une dimension politique que ne renient pas les deux créateurs : cela se voit s’entend et se ressent tout au long de leur pièce. Mais chacun est laissé libre d’interpréter ce qu’il voit et entend à sa guise. Même si peu de doute est permis quant au message final. Le tout est servi par six comédiens - tous excellents - qui prêtent leur énergie et leur intensité à l’ensemble et participent à 100% à la réussite de cet ambitieux projet.

Camille Bernon / Simon Bourgade

Écoutez L’Oreille est hardie…

Et allez voir sur scène ce spectacle pour commencer au théâtre Paris-Villette puis en tournée dans l’Hexagone. Les programmateurs de salles dans nos Outre-mer seraient bien inspirés de faire venir ce spectacle, LWA, dont la portée artistique et pédagogique saute aux yeux.

Écoutez les metteurs en scène Camille Bernon et Simon Bourgade dans L’Oreille est hardie, c’est par ICI !

Ou par là :

"LWA, autopsie de l’inconscient colonial français" de Camille Bernon et Simon Bourgade, au théâtre Paris-Villette jusqu’au 3 décembre. Les 13 et 14 décembre 2022 , à l’Espace des arts de Chalon sur Saône et le 28 janvier 2023 au Théâtre de Rungis.