Elle entre sur scène vêtue d’un masque blanc et installe de part et d’autre de la scène deux sculptures en taille réelle qui lui ressemblent étonnamment. Toutes deux sont noires et grosses. L’une est habillée en boubou façon "mama africaine", l’autre a tous les atours de la prostituée telle qu’on la représente au cinéma. Ces "super-mamas" comme les surnomme Sabine Pakora, accompagnent la comédienne tout au long du spectacle, comme un rappel constant des représentations toutes-faites, des clichés, des préjugés dans lesquels la jeune comédienne a été enferrée, enserrée dans son parcours.
Débuts ardus
Bac théâtre et formations dans des écoles de théâtre de Montpellier et de Paris en poche, l’aspirante comédienne comme les autres court les castings à la recherche de rôles divers et variés. On la remarque en tant que femme noire de forte corpulence. Du coup, elle trouve des rôles mais qui ne seront qu’un alignement d’images d’Épinal et des mêmes personnages immuables que l’on projette à partir de son physique, de sa couleur de peau et de ses rondeurs.
S’enchaînent donc : les fameuses mamas africaines ou Afro-descendantes, les prostituées, les mères de familles de banlieue avec de préférence leurs rejetons dealers ou en prison, les femmes de ménage… et qui plus est, pour seulement des apparitions à peine une poignée de minutes à l’écran ! Toute sa singularité qui lui a entrouvert un jour les portes du cinéma est justement ce qui la mine maintenant en tant qu’artiste, un comble !
La route vers "La Freak…"
Au début, Sabine était pleine d’espoirs puis devant ces rôles tous moins intéressants que les autres, résignée à l’idée qu’il fallait bien remplir la marmite puis, réalisant à quel point l’artiste qu’elle était s’enfermait dans ces partitions qu’on lui faisait jouer, elle décide de réagir. Le premier vrai déclic viendra de Noire n’est pas mon métier. Dans ce livre et ce mouvement, Sabine Pakora livre son témoignage à l'instar de la quinzaine de femmes qui racontent leur parcours et leurs combats d’actrices noires ou métisses.
Avec d’autres comme Aïssa Maïga, Firmine Richard ou France Zobda, elle dénonce de fait l’absence de variété dans les rôles proposés et la façon dont le cinéma manque d’imagination dans cette matière de diversité. Un livre qui rencontre un certain succès, un moment de grâce avec la montée des marches du Festival de Cannes et un regard du public qui commence à changer… Tout cela galvanise Sabine qui se dit que son salut d’artiste ne pourra venir que d’elle-même.
Naissance d’un spectacle
C’est là que naît l’idée de son spectacle La Freak, journal d’une femme vaudou. Avec le jeu de mots qui dit l’Afrique et ses origines ivoiriennes mais aussi la « freak » qui traduit de l’anglais, évoque le monstre de foire, la marginale que l’on voudrait faire d’elle. Son parcours de comédienne ressemble à une suite de mésaventures et de clichés ? Elle en fera le sel de son seul-en-scène, se jouant de ceux qui la cantonnent à n’être que la Noire de service, interprétant tour à tour un réalisateur plein de lui-même, une mère de famille, une « tchipologue » (hilarante !) persuadée d’avoir tout saisi des cultures noires.
Autant de personnages qu’elle a croisés ou dont on lui a parlé et dont elle a complété les portraits en forçant juste ce qu’il faut, le trait. Une forme de miroir inversé, dit Sabine Pakora dans l’Oreille est hardie : au tour de la femme noire et grosse, victime de racisme et de grossophobie, de stéréotyper ceux qui soi-disant détiennent le pouvoir et le savoir… Juste retour des choses de ce de spectacle La Freak… !
Écoutez « l’Oreille est hardie »…
Et découvrez l’artiste Sabine Pakora et tous les états par lesquels elle est passée pour en arriver à devenir la propre star de son show. Écoutez-la donner son avis sur la situation aujourd’hui qui s’est un peu améliorée en France, selon elle : on lui propose depuis quelques mois des rôles un peu plus variés qu’auparavant (notamment dans les fonctions de ses personnages : médecin, enseignant, procureur…). Écoutez-la parler (un peu) au nom de la diaspora qu’elle soit africaine, antillaise, réunionnaise et pour toutes les personnes grosses car son histoire est aussi l’exemple d’une lutte contre le racisme et la grossophobie.
Pour écouter Sabine Pakora dans l’Oreille est hardie, c’est par ICI !
Ou par là :