PORTRAIT. Crystallmess, DJ et plasticienne aux ondes antillaises et futuristes

Après avoir mixé dans les clubs les plus prestigieux Crystallmess rêve de se produire aux Antilles.
DJ, plasticienne, productrice ou encore vidéaste : Christelle Oyiri, dite Crystallmess développe des projets artistiques sur de nombreux supports. La musique électronique, infusée aux sonorités caribéennes, reste sa spécialité. Portrait d'une artiste complexe et solaire.

Cheveux noirs zébrés de blond, voix quelque peu cassée qu’elle tente de soigner en buvant un thé vert, la Dj et productrice Christelle Oyiri donne tout de suite le la. C’est à Paris et en région parisienne que Crystallmess, son nom de scène, vit depuis sa naissance il y a 30 ans. Son activité principale : faire danser dans les clubs de musique électro du monde entier. Fille d’une mère guadeloupéenne et martiniquaise et d’un père ivoirien, elle est issue d’une famille de cinq enfants et la musique a toujours été omniprésente dans son enfance : "C’était dans l’air ! On écoutait beaucoup de kompa, de zouk et surtout du coupé-décalé. Il y avait vraiment un mélange des cultures : beaucoup d’afrozouk par exemple. Je pense que ç'a eu une grosse influence sur moi."

Techno infusé au bouyon

Christelle Oyiri a grandi dans cette culture éclectique : une mère aide-soignante et un père travaillant à la Cité des Sciences qui l’amènent au Carnaval de Londres, où le dancehall côtoie la musique électronique dans les rues. "Mes deux parents étaient très fêtards. Ils ne sortaient pas uniquement dans des clubs antillais mais dans des boites comme le Queen ou le Bain-douche. Il y avait pas mal de musique électronique. Donc, ils n’étaient pas du tout contre le fait que j’écoute cette musique, pour eux c’était normal."

De cette richesse est né un style. Celui que la jeune Christelle voulait écouter mais qui n’existait pas encore. "Je ne sais pas si j’ai inventé quelque chose, mais j’essaye d’infuser la musique électronique avec le bouyon ou la shatta. J’essaye de mélanger les influences de mon éducation en France avec la Caraïbe et ses sonorités", comme dans le titre Mariage Burlesque, en référence à la tradition du carnaval antillais. Malgré leur ouverture, les parents de Christelle Oyiri exigent qu’elle ne se lance pas tête baissée dans la musique. C’est après une prépa littéraire et des études de droit qu’elle peut tenter l’aventure.

Amnésie collective

En 2018, Crystallmess se fait aussi connaitre avec le film « Collective Amnesia. In memori of logobi. ». Dans une démarche de témoignage et d’archive, ce court métrage se veut le témoignage d’un phénomène : le logobi, danse originaire de Côte d’Ivoire :  "Elle a été reprise par les jeunes de banlieue du sud de Paris en particulier. Et ils l’ont un peu remise à leur sauce. Ça mélange le coupé-décalé et la musique techno : il y a un côté très futuriste. C’est un genre de musique qui a vraiment révolutionné 'soniquement' les choses et il y a eu une forme d’amnésie de ce qu’il s’est passé. J’ai donc fait ce film pour ne pas que l’on oublie."

Ce film ouvre à Christelle Oyri la possibilité de se développer sur plusieurs supports : "Je n’avais pas la sensation que ça pouvait devenir un métier. Avec Collective Amnesia, j’ai pu reprendre ma pratique visuelle parce que ça intéressait des gens, des institutions qui diffusaient le film. "

“Collective Amnesia : In memori of logobi” par Crystallmess

Paris vidé de ses clubs

Bien qu’originaire du Val-de-Marne, ce n’est étonnement pas sur la scène parisienne que Crystallmess, la musicienne, se produit le plus. "Je joue moins à Paris parce que les clubs ferment. Les cachets sont très bas et les sound system pas forcément bons dans le peu de clubs qu’il reste. C’est une ville qui s’embourgeoise, poursuit-elle. Les gens qui habitent Paris vieillissent et n’aiment pas le bruit." C’est donc essentiellement à Londres et à Berlin que l’artiste a trouvé refuge. Elle s’est notamment produite plusieurs fois au Berghain, célèbre club berlinois reconnu pour sa qualité de son presque parfaite et son exclusivité : "C’est un club où les photos et les vidéos sont interdites. Ça préserve le mystère" explique Crystallmess.

Une artiste multiple

"Il y a parfois des choses que je veux exprimer visuellement et que la musique ne me permet pas de faire", raconte l'artiste pour justifier la déclinaison de son art en de nombreux supports. "Mon travail, c'est de faire de l’art et de pouvoir transmettre des messages, politiques ou non." Son dernier projet vidéo, en collaboration avec le Musée du Louvre, est sortie début 2023. Le Louvre a commandé à plusieurs vidéastes une courte vidéo sur leur vision du musée. L’occasion pour Christelle Oyiri de questionner une institution qu’elle aime, mais qui n’est pas toujours tendre avec tous : "Même si le Louvre, c’est impressionnant, c’est écrasant aussi du silence de mes ancêtres et du silence de gens qui n’ont pas la parole, décrit-elle émue. Et en fait, on se rend compte qu’il y a très peu d’art émancipatoire au Louvre, même si c’est un des plus beaux établissements d’art qu’on a au monde."

Plus que le support par lequel elle s'exprime, c’est l’engagement de l’artiste et ce qu’elle représente qui compte : "Je pense que la représentation peut être de l’engagement, déduit-elle. Quand les gens finissent par se voir dans des endroits où ils ne sont jamais représentés, c’est aussi une forme d’engagement." Le féminisme, la terre ou encore la lutte intergénérationnelle au sujet du chlordécone sont autant de sujets sur lesquels Crystallmess travaille ou espère travailler dans ses futurs projets, musicaux ou non.