PORTRAIT. De dentiste à artiste musicien, le parcours insolite de Josia, Guyanais passé par Tahiti

L'auteur-compositeur et interprète guyanais Josia travaille cet été 2023 sur un nouveau projet musical, dans un studio en région parisienne.
Auteur, compositeur et interprète, Josia Gourouza a grandi en Guyane, à Saint-Georges de l'Oyapock, Kourou et Cayenne, avec un petit crochet par Tahiti. Né d’un père nigérien et d’une mère bretonne, ce métis de 28 ans est devenu orthodontiste à Paris, avant de tout arrêter pour se lancer à 100% dans la musique début 2023. Outre-mer la 1ère l'a rencontré dans un studio de région parisienne.

Le casque sur les oreilles, les yeux fermés, Josia enregistre lui-même sa voix dans un petit studio, au sous-sol d'un immeuble. Il a presque oublié qu'on lui a demandé de se mettre en situation pour une séance photo, et ressort satisfait de ces essais de voix qui pourraient bien servir.

Car Josia Gourouza, 28 ans, ne s'arrête pas. Vainqueur en mai dernier de l'édition 2023 de Tremplin#77, un concours organisé par le département de Seine-et-Marne pour les artistes émergents, il a assuré récemment la première partie du concert de Juliette Armanet, marraine de l'événement. Alors que son prochain album doit paraître bientôt en deux parties - la première le 22 septembre, la seconde en fin d'année -, il a déjà sorti un titre de cet opus, "Douleur exquise".

En parallèle, lui qui sait déjà jouer de la trompette, de la guitare et de la batterie apprend le piano car "quand tu fais du piano, c'est beaucoup plus simple pour composer".

"Est-ce que je veux faire ça toute ma vie ?"

Pourtant, cette vie consacrée 100% à la musique n'était pas la voie toute tracée qu'il avait suivie au début. Bon élève à l'école, "je voulais faire un métier médical depuis longtemps, depuis que j'étais petit", se souvient Josia. Le bac en poche, il quitte la Guyane à 18 ans, direction Brest dans l'Hexagone où il commence des études de médecine. "Je ne me suis pas vraiment posé de questions, c'était assez naturel", reconnaît-il.

Josia se spécialise en dentaire et déménage à 24 ans à Paris où il termine sa formation en orthodontie et commence à travailler. C'est à ce moment-là que les premiers doutes apparaissent : "Arrivé à la fin de mes études, je me pose vraiment la question : est-ce que je veux vraiment faire ce métier-là toute ma vie ?"

À la même époque, celui qui fait de la musique depuis tout petit a un rêve un peu fou : "Comme je commence à gagner ma vie, je vais me faire un kiff, je me fais mon propre album. Mais ce n'était toujours pas professionnel dans ma tête." De sessions de studio en rencontres, il commence alors à découvrir l'industrie de la musique. "Et plus ça va et plus j'ai envie de faire ça, retrace-t-il. Donc là, je me mets à mi-temps dans mon boulot, et je fais mi-temps dentiste, mi-temps musique."

Du cabinet dentaire aux couloirs du métro

Pendant quatre ans, il monte des projets, change plusieurs fois de labels, décortique les arcanes de la production. "Je pense que le fait de faire de la musique, ça m'a permis aussi d'évoluer personnellement (...) de me comprendre moi-même un peu plus", analyse Josia.

Arrive donc le moment où il veut se consacrer uniquement à sa passion. Un changement de vie suivi par une équipe du magazine 13h15 le samedi, sur France 2, où l'on voit Josia réaliser sa dernière consultation, avant de passer une audition en mars 2023 à la RATP pour pouvoir jouer dans les couloirs du métro. Une fois l'accréditation en poche, il se lance avec ses amis musiciens, Harold, Alex et Tom, comme le montre cette vidéo :

Josia revient pour nous sur ces moments : "Pour moi, le fait de faire l'audition RATP, c'était une bonne façon de me tester, de voir [si] j'arrive à accrocher les gens, parce qu'ils ne sont pas vraiment attentifs. En plus de ça, la RATP a un super réseau qui permet de faire d'autres choses", comme des castings. L'accréditation s'étalant de mars à septembre, il ne l'aura bientôt plus, mais ne sait pas encore s'il va repasser une audition pour la conserver.

La bascule d'une vie à l'autre est en tout cas réalisée. "Je sais que je gagne beaucoup moins, je ne mène pas la même vie qu'avant, admet le musicien. Mais justement, ce n'était pas la raison pour laquelle je faisais ça au début, donc ce n'est pas quelque chose qui m'a freiné."

Saint-Georges, Kourou et... Tahiti

De l'autre côté de l'Atlantique, en Guyane, sa famille ne l'a pas non plus bridé. "Mes parents qui au départ étaient un peu inquiets finalement sont impliqués, me soutiennent, explique-t-il. J'ai la tête sur les épaules quand même. [...] Je pense qu'ils ont bien vu que je m'épanouissais beaucoup et ils sont contents. Même si c'est vrai que oui, dentiste, c'était plus safe." En cas de difficultés financières, il sait d'ailleurs qu'il peut faire "2-3 remplacements à droite à gauche" dans des cabinets d'orthodontie.

L'autre raison pour laquelle ses parents sont derrière lui, c'est qu'eux aussi "l'auraient fait à [s]a place". "Ils n'ont vraiment peur de rien", sourit-il. Et c'est ce goût de l'aventure qui les a conduits avec leurs deux fils en Outre-mer. Jeunes profs, sa mère bretonne et son père nigérien sont en effet mutés en Guyane, à Saint-Georges de l'Oyapock où Josia débarque alors qu'il n'a que 3 ans. Il grandit donc près de la frontière brésilienne puis à Kourou où naît sa petite sœur.

Nouvelle mutation quand il a "8 ou 9 ans", direction cette fois Tahiti en Polynésie. Il revient en Guyane, à Cayenne, vers 12-13 ans et y reste jusqu'à sa majorité. "Cela nous a ouvert l'esprit sur plein de trucs, de se dire que tout est faisable en fait", résume Josia.

Univers hip-hop mélancolique

Quand on lui demande au final d'où il vient, il répond du tac au tac : "de la Guyane". Il ne s'est jamais senti ballotté entre plusieurs cultures, surtout dans ce territoire : "Dans ma classe, il y avait des Brésiliens, des Péruviens, des Haïtiens. Il y avait des Créoles évidemment, des mecs qui viennent du Laos, de Chine, liste-t-il. C'était hyper mélangé donc je ne me sens pas particulièrement différent quand je suis en Guyane."

C'est là-bas, à Kourou, qu'il a commencé la trompette et le solfège. Sont venus ensuite d'autres instruments comme la batterie "à l'ENMD [école nationale de musique et de danse de Guyane, NDLR] à Cayenne, c'était trop bien", s'exclame-t-il. "Je faisais de la biguine, de la bossa nova, ce n'est pas forcément des rythmes que j'utilise aujourd'hui dans ma musique, mais c'est bien parce que ça m'a apporté une nouvelle influence", détaille-t-il.

Des influences, Josia en a eu énormément : entre les chansons françaises que sa mère passait à la maison, le dancehall et le rap de sa génération qu'il écoutait ado en Guyane, et les musiques "solaires" des endroits où il a vécu, il a mis du temps à trouver son propre style musical. Il a finalement choisi un univers hip-hop "doux amer" car il "trouve que les musiques mélancoliques envoient des messages plus forts". En témoigne cette vidéo en acoustique d'un titre inédit, "Des gens qui s'aiment" :

Extrait en version acoustique de "Des gens qui s'aiment", chanson écrite et composée par le Guyanais Josia, dont la sortie est prévue fin 2023. ©Julie Postollec / France Télévisions

Cette chanson doit sortir en fin d'année, dans la deuxième partie de son album intitulé Le bonheur, désespérément, un projet sur lequel il travaille depuis deux ans et demi et qui va bien au-delà de la musique.

Rencontre avec un philosophe

Le titre de l'album est en fait celui d'un essai écrit par le philosophe André Comte-Sponville. "C'était un livre que j'avais beaucoup aimé, qui parle de bonheur, d'espoir, de désir, de plein de choses qui me tourmentaient, en tout cas quand je le lisais", se remémore Josia. Lorsque, quelques années plus tard, il a envie de réaliser un gros projet musical et réfléchit au sujet, le thème du bonheur s'impose rapidement. Il écrit et compose donc en s'appuyant sur l'ouvrage.

Une fois les chansons terminées, il décide d'aller au bout de la démarche et d'envoyer la maquette à André Comte-Sponville lui-même. "Il m'a répondu dans la journée, il était ému et content que je puisse m'inspirer de son livre, raconte Josia. Je lui ai proposé qu'on se rencontre, il est venu chez moi et on a enregistré une petite discussion d'1h30 où on parle de ça, de la musique, du sujet de son livre." Après cette rencontre avec cet homme "hyper inspirant", le Guyanais finit désormais d'insérer des extraits de la conversation dans l'album.

À peine sorti de cet énorme travail, l'artiste se lance déjà dans l'écriture de son prochain projet, "un peu moins lourd", qu'illustre la photo ci-dessous.

Dans un studio en région parisienne, l'auteur-compositeur et interprète guyanais Josia travaille cet été 2023 sur un nouveau projet musical, en s'enregistrant d'abord lui-même.

Des créations qu'il auto-produit car il a créé aussi son propre label, 3e cycle. "Pour l'instant, je le fais pour moi-même, je veux me prouver que je peux le faire. Une fois que je saurai le faire, j'aimerais bien produire d'autres artistes", explique-t-il. À très long terme, Josia aimerait aussi vivre en Guyane ou aux Antilles : "Ça reste presque mes origines, c'est une évidence que j'y retournerai un jour ou l'autre."

 

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