PORTRAIT. Thérèse-Francine Hoarau, les traumatismes d’une Réunionnaise lors du Bumidom

À l'occasion des 60 ans du Bumidom, la Réunionnaise Thérèse-Francine Hoarau a accepté de partager ses photos et ses souvenirs, notamment dans un foyer à Dieppe (à droite).
Il y a 60 ans était créé le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer. ce Bumidom a poussé des milliers d’Ultramarins à se former et travailler dans l’Hexagone. Mais nombre d’entre eux se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, comme la Réunionnaise Thérèse-Francine Hoarau qui garde encore d'importantes séquelles de ce déracinement.

"Je ne connaissais rien de l’Hexagone, personne ne m’a préparée à y vivre. J’étais seule et sans famille", se remémore douloureusement Thérèse-Francine Hoarau, 66 ans. Assise à la table de son salon, la retraitée feuillette avec sa fille Véronique, 43 ans, son album photo. Certains souvenirs la font sourire quand d’autres la crispent.

La Réunionnaise est une "Bumidomienne", du nom donné aux milliers d’Ultramarins incités par le Bumidom à venir s’installer et travailler dans l’Hexagone entre 1963 et 1981. Créé par Michel Debré, ex-Premier ministre du général De Gaulle devenu député de la Réunion en 1963, l’organisme devait permettre de pallier le manque de main-d’œuvre dans l’administration française et résorber le taux de chômage dans les territoires d’Outre-mer.

Du haut de ses 19 ans, Thérèse-Francine y voit une chance de trouver du travail et embarque seule, sans réellement savoir ce qui l’attend, pour l’Hexagone. "Je ne savais pas dans quelles conditions j’allais être formée, je ne savais pas non plus dans quelles conditions je pourrais rentrer ensuite à la Réunion", explique-t-elle.

Mais la pression sociale est forte. Issue d’une famille nombreuse et modeste, il est hors de question pour elle d’être une charge supplémentaire : "Je ne voulais pas être dépendante de mes parents. Et puis de toute façon, à partir de tes 18 ans, tu ne pouvais pas être là à ne rien faire. Il fallait vite trouver du travail."

"J'ai fini par défriser mes cheveux"

Elle est placée dans un foyer à Dieppe, le temps de sa formation. Ses repères culturels y sont chamboulés. "Nous étions tous mélangés dans les chambres. Ce n’était pas du tout mon mode de vie à La Réunion", poursuit-elle. Les températures hivernales la prennent au dépourvu : "J’ai appris qu’il y avait différentes saisons. C’était la première fois, que je voyais de la neige."

La jeune réunionnaise doit aussi composer avec le regard des autres : "On regardait mes cheveux crépus. J’ai fini par les défriser. J’essayais à ma façon de me fondre dans la masse."

Surtout, Thérèse-Francine ne bénéficie d’aucun accompagnement de la part du Bumidom. Le désenchantement est alors brutal. "Je ne savais pas vers qui me tourner si j’avais le moindre problème, regrette-t-elle. Par exemple, je ne savais même pas comment prendre le métro à Paris, lorsque je devais passer des concours. On ne m’avait donné aucun plan. J’avais tout le temps peur de me perdre."

La solitude lui est pesante. Maintenir des liens avec la Réunion est difficile, car téléphoner lui revient trop cher et le courrier met parfois un mois à lui parvenir. "On nous avait dit que l’on pouvait rentrer quand on voulait mais comment ? Nous ne travaillions pas, s’insurge-t-elle. Personne n’osait demander de l’aide pour payer un billet d’avion." La jeune réunionnaise devra attendre trois années pour retrouver ses proches.

Présentée comme... Marocaine

Malgré tout, Thérèse-Francine se refuse à abandonner : "Je ne pouvais pas rentrer sans avoir un travail sinon c’était la honte, pour moi comme pour ma famille." En 1983, elle décroche un poste d’aide-soignante dans une unité de soins psychiatriques dans un hôpital parisien. Lors de son premier jour, sa cheffe de service la présente comme Marocaine. "Alors tout le monde pensait que je venais du Maroc. Je n’étais pas Française pour les autres", souffle-t-elle. 

Un jour, une collègue m’a appelée 'petite nègre' et a fait passer cela pour une plaisanterie.

Thérèse-Francine Hoarau

Là encore, elle doit faire face au racisme, seule : "Je n’avais pas intérêt à dire quelque chose. Il n’y avait pas d’association pour me défendre à l’époque. De toute façon, même si je souffrais, je n’osais pas en parler. Je voulais juste travailler et mettre de l’argent de côté."

Impossible pour elle de parler de ce qui lui arrive à sa famille. Un tabou autour du Bumidom se crée. "Il ne fallait pas raconter ses affaires", résume la retraitée. Sa fille, Véronique Larose, rebondit : "Il faut comprendre que culturellement, il est mal vu de se plaindre pour les Réunionnais. On lui disait : 'personne ne t’a forcée à signer pour partir, donc ne vient pas te plaindre'."

Elle n'ose pas se plaindre ni demander

Dans l'Hexagone, les conditions de travail sont difficiles. Thérèse-Francine garde en tête son "rêve" : retourner vivre à La Réunion. Mais les opportunités sont trop rares. "J’aurais dû y retourner mais il n’y avait pas de poste pour moi là-bas. Je ne savais même pas comment faire pour être mutée. Je n’osais pas demander", concède-t-elle. Elle se résout à s’installer définitivement en région parisienne.

Une épreuve dont elle "ne se remettra jamais vraiment", confie Véronique. Cette dernière remarque dès l’enfance les séquelles de sa mère : "On allait en vacances à la Réunion. À chaque fois qu’on repartait pour l’Hexagone, ma mère allait mal. Je sentais qu’elle n’avait pas envie de rentrer." Véronique Larose milite aujourd’hui pour une meilleure reconnaissance du vécu de sa mère.

Il faut raconter l’histoire des Bumidomiens, parce que cela créé des incompréhensions, des blessures au sein des familles. Il faut que l’on puisse mieux vivre cet héritage familial.

Véronique Larose, fille de Thérèse-Francine Hoarau

Quant à Thérèse-Francine, elle a décidé de passer sa retraite en Hexagone, pour rester auprès de ses enfants. Et continuer de raconter son histoire.