Quand Sablé-sur-Sarthe avait un maire noir, le Martiniquais Raphaël Elizé

Le Martiniquais Raphaël Elizé fut maire de Sablé-sur-Sarthe de 1929 à 1941.
Sablé-sur-Sarthe est le fief du candidat à la présidentielle François Fillon, qui en fut le maire. Cette petite commune peut s’enorgueillir d’avoir élu le premier maire d’origine antillaise de l’Hexagone, le Martiniquais Raphaël Elizé, petit-fils d’esclave et résistant.
Fief de François Fillon, candidat Les Républicains à l’élection présidentielle, la commune de Sablé-sur-Sarthe a défrayé la chronique en raison des déboires judiciaires et médiatiques de l’ancien Premier ministre, qui fut maire de Sablé de 1983 à 2001. Mais sait-on qu’avant lui, Sablé-sur-Sarthe avait élu comme premier édile un homme d’origine martiniquaise, premier Antillais maire d’une commune de l’Hexagone ? Voici la remarquable histoire de ce citoyen engagé, Raphaël Elizé, homme de culture et résistant à l’occupation nazie, mort en déportation à Buchenwald en février 1945.  
 
Né en 1891 à Saint-Pierre en Martinique, petit-fils d’esclave, vétérinaire de formation sorti major de sa promotion, Raphaël Elizé arrive à Sablé-sur-Sarthe avec son épouse Caroline, martiniquaise elle aussi, en octobre 1919. C’est le premier vétérinaire à s’installer dans la région, et de plus le seul Noir à Sablé. C’est une double révolution, sociale et médicale, notamment face aux pratiques traditionnelles des habitants qui utilisent des rebouteux pour soigner les animaux.
 

Vaste culture

Immédiatement très actif dans la vie locale, il gagne rapidement la confiance des gens, en dépit de quelques manifestations de racisme. Raphaël Elizé impressionne son entourage par son statut et sa vaste culture. Il est passionné de musique classique (Bach, Mozart, Schumann) ainsi que d’art et de lettres (particulièrement le poète Rainer Maria Rilke qu’il lit dans le texte allemand) et de photographie. Il réalise durant ses loisirs des photos d’art qu’il développe lui-même.

Il est insupportable à l’administration militaire et à l’armée allemande de reconnaître comme maire en territoire occupé un homme de couleur ni de discuter avec lui. » (La Kommandantur allemande à propos de Raphaël Elizé)

 









Il est aussi féru de politique. Membre de la SFIO, ancêtre du Parti socialiste, il s’implique à fond dans la vie locale. En 1929, il devient maire. Dans son discours d’investiture, il déclare : « On n’a pas besoin pour être un bon maire d’avoir de grandes lumières, une suite d’ancêtres illustres, ou beaucoup de fortune. Il suffit d’avoir de la probité, du bon sens, un caractère conciliant et ferme, et la volonté de bien remplir sa charge. » A transmettre aux candidats des futures municipales !

Durant sa mandature, Raphaël Elizé ouvre une école, une pédiatrie, une maternité, une maison du peuple pour les syndicats, et fait construire la première piscine de l’Ouest de la France, pouvant accueillir des compétitions sportives. Il est réélu en 1935 et sera la même année l’un des représentants de la France en Martinique à l’occasion de la commémoration du tricentenaire des Antilles (1635 – 1935).

Raphaël Elizé dans sa jeunesse.

Mais la guerre arrive, et le maire d’origine martiniquaise est incorporé en 1939 comme officier de réserve avec le grade de capitaine. Démobilisé en août 1940 après la reddition de la France, il rentre dans sa commune occupée. La Kommandantur lui indique alors par lettre « qu’il est incompréhensible pour le commandement allemand, et pour le sens du droit allemand, qu’un homme de couleur puisse revêtir la charge d’un maire ». Le texte ajoute : « De même, il est insupportable à l’administration militaire et à l’armée allemande de reconnaître comme maire en territoire occupé un homme de couleur ni de discuter avec lui. » Le préfet collaborationniste de la Sarthe le destitue.
 

Déporté à Buchenwald

Au printemps 1943, Elizé rejoint la Résistance. Sa connaissance de l’allemand lui permet de glaner de précieuses informations. Mais son groupe est démantelé en septembre de la même année. La Gestapo l’arrête. Il est emprisonné à Angers puis déporté à Buchenwald en janvier 1944. C’est un prisonnier politique, matricule 40490. En février 1945, à quelques semaines de la libération, il meurt sous les bombardements alliés des usines du camp de concentration. Il est âgé de 54 ans. Son épouse martiniquaise, Caroline, ne lui survivra pas longtemps. Elle décède un an plus tard, dévastée par la perte de son mari.
 
En 2013, un documentaire de 52 mn a été consacré au parcours de Raphaël Elizé. Intitulé « Le métis de la République », ce film de Philippe Baron comprend de nombreuses images d’archives. Il explore l’itinéraire de la famille de Raphaël Elizé, depuis son arrière-grand-mère Elise (d’où le nom Elizé) née esclave puis affranchie, et comporte de nombreux témoignages de neveux et nièces, d’anciens habitants de Sablé, d’historiens et d’essayistes. 

VIDEO : Extrait du film « Le métis de la République », de Philippe Baron