Des dizaines de jours d'école perdus à cause des grèves, des sargasses ou des coupures d'eau, des personnes âgées qui doivent se battre pour toucher leur retraite, d'autres qui renoncent à se soigner faute de pouvoir se rendre dans l'Hexagone... Les conclusions du rapport commandé par la Défenseure des droits, qui se rendra en Guadeloupe du 19 au 21 mars et en Martinique du 22 au 24, sur les services publics aux Antilles sont particulièrement sévères.
Même si le texte sera remis à différents ministères et aux parlementaires, les avis de la Défenseure des droits ne sont pas contraignants. Pour attirer l'attention de l'administration et maximiser leurs chances d'influer sur les politiques publiques, les rédacteurs ont formulé plus de 70 recommandations, dont certaines sont très concrètes.
Faire reconnaître le fléau des sargasses comme catastrophe naturelle
La reconnaissance par le ministère de l'Intérieur d'un état de catastrophe naturelle ouvre la voie à une indemnisation systématique des victimes. Les aléas naturels entrant dans ce cadre (avalanches, inondations, séismes, glissements de terrain...) sont précisément listés dans la loi. Le rapport préconise une modification du texte pour que l'état de catastrophe naturelle puisse être reconnu en cas d'échouage de sargasses.
La Défenseure des droits encourage aussi l'État à inciter les compagnies d'assurance à inclure le risque sargasses dans leurs contrats. "Jusqu’ici, les compagnies d’assurance refusent d’assurer un risque récurent, mais rien n’empêche qu’on essaye de reprendre les discussions avec elles", estime George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits et corédactrice du rapport, qui rappelle que les échouages coûtent très cher aux Antillais. Non seulement les sargasses accélèrent la corrosion des appareils électroménagers, mais les gaz nauséabonds qu'elles dégagent freinent le tourisme et privent les enfants de précieux jours d'école.
Annuler les factures d'eau antérieures à 2021
Le rapport revient longuement sur les coupures à répétition et les défaillances du réseau de distribution de l'eau, particulièrement en Guadeloupe. Les Guadeloupéens sont très nombreux à refuser de payer des factures en totale incohérence avec le service rendu. La moyenne nationale des impayés plafonne à 2%, mais grimpe à 25% en Guadeloupe et jusqu'à 50% dans certaines communes de la Basse-Terre. La Défenseure des droits souhaite légaliser la pratique en abandonnant les "créances pour les factures aux particuliers émises avant le 1er janvier 2021".
L’accès à l’eau est un droit essentiel. On ne peut pas imaginer qu’au XXIe siècle il y ait encore des populations qui soient privées d’un accès à l’eau régulier, et surtout qu’on leur délivre une eau qui n’est pas potable.
George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits
Non seulement le rapport s’interroge sur "la légalité" des "tours d’eau" mis en place en Guadeloupe pour pallier le manque d’eau, mais il explore aussi une autre piste : pousser les mairies à payer les packs d'eau que les usagers sont obligés d'acheter quand le service n'est pas assuré.
Donner une plus grande place au créole à l'école
Le territoire d'Outre-mer où l'enseignement du créole est le plus développé est la Guadeloupe. Pourtant, seuls 10% des élèves de l'île reçoivent des cours de créole. Le rapport préconise le développement de l'enseignement bilingue aux Antilles pour impliquer davantage les parents dans le parcours scolaire de leur enfant, combattre le décrochage scolaire et lutter contre l'illettrisme.
Plus largement, l'ensemble des services publics -préfecture, mairie ou centres de soins par exemple- devraient pouvoir accueillir le public en créole. Un accueil bilingue permettrait d'éviter que des personnes se privent de leurs droits ou renoncent à se soigner à cause de la barrière de la langue.
Favoriser le recrutement local des fonctionnaires
"À un moment où chacun s’inquiète de voir les forces vives quitter les îles, il est absurde que l’administration, en les obligeant à partir, contribue à cet exode", estime George Pau-Langevin, en référence aux Ultramarins mutés loin de leur territoire après avoir réussi un concours de la fonction publique. Dans les années 1960, les autorités ont favorisé les départs vers l'Hexagone des populations antillaises, en particulier des jeunes. "Peut-être qu’on est allé trop loin dans cette voie-là, puisque aujourd'hui, on se retrouve face au vieillissement de la population", note l'ancienne ministre des Outre-mer.
Elle propose de modifier les règlements des concours de la fonction publique pour permettre aux Ultramarins d'être affectés dans leur territoire d'origine. L'idée a déjà fait ses preuves en Guyane et à Mayotte, où le ministère de la Justice a organisé des concours avec affectation locale pour recruter des greffiers.
Il y a de la part de l’usager, de monsieur tout le monde, une forme de défiance à l’égard des services qui peuvent lui être rendus, une défiance à l’égard de ce que dit le gouvernement et la métropole.
George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits
Le recrutement local des fonctionnaires peut aussi contribuer à lutter contre le manque de confiance de certains Antillais à l'égard de l'administration. Selon George Pau-Langevin, cette défiance, alimentée par des dysfonctionnements répétés des services publics, inquiète les responsables de ces mêmes services, "qui se rendent compte que les choses ne vont pas et qui, parfois, s’attendent ou craignent une forme d’explosion, de ras-le-bol".