Qui est Stéphanie St. Clair, cette figure oubliée de l’histoire américaine ? Dans un roman graphique intitulé Queenie, la marraine de Harlem, les deux amies Aurélie Levy et la peintre martiniquaise Elizabeth Colomba reviennent sur la vie passionnante de cette Martiniquaise qui s’est imposée dans les années 20 à Harlem… Pour les deux artistes, il s’agit d’une première : premier projet abouti ensemble, et surtout, première BD. Elles se sont confiées à Outre-mer La 1ère.
Une aventure entre amies
“On s’est connues quand on avait une vingtaine d’années", raconte Aurélie Lévy. "On s’est rencontrées à Los-Angeles : j’étais l’assistante d’un comédien qui s’appelle John Cusack, Elizabeth venait de commencer les story boards.” Et pour l’anecdote,"c’est Leonardo Di Caprio qui l’a encouragée à faire des storyboards", glisse Aurélie Lévy. “On était jeunes, ambitieuses et motivées.”
“On avait commencé à écrire quelques projets de scripts à ce moment-là", se souvient Elizabeth Colomba. “Rien n’avait abouti mais on avait établi une sorte de complicité, d’échange créatif autour de l'écriture.” Et depuis des années, Elizabeth parlait à son amie Aurélie du personnage de Stéphanie Saint-Clair. Un personnage dont lui avait parlé sa mère.
“Quand Elizabeth m’a parlé de Stéphanie St. Clair, je ne la connaissais pas et j’étais d’abord fascinée qu’on ne la connaisse pas, que le reste du monde ne connaisse pas cette femme qui s’est imposée dans un monde d’hommes”, se rappelle Aurélie Lévy.
Quand on demande aux gens “est-ce que vous connaissez Al Capone”, je pense que le monde entier connaît Al Capone ! Pourtant, on ne connaît pas cette femme.
La genèse
Ce projet a donc pu exister grâce à la maman d'Elisabeth. “Elle s’intéresse beaucoup aux figures martiniquaises qui ont marqué leur temps”, raconte la peintre martiniquaise. Mais quand elle commence les recherches, Elizabeth se rend compte “qu’à l’époque malheureusement, il n’y [a] pas grand chose”. Et puis en 2015 sort Madame St-Clair, reine de Harlem : "Raphaël Confiant en a tiré un roman et cela m’a beaucoup intriguée alors je me suis dit que j’allais faire son portrait puisque je suis peintre”. Elizabeth précise : “beaucoup de mes œuvres s’inspirent de personnages (...), de figures noires connues à leur époque mais qui ont été ensuite effacées de l’Histoire. Dans cette perspective, Stephanie Saint-Clair m’a paru être un bon sujet.”
“Bien que ce soit un peu difficile et qu’il faille un peu chercher”, Elizabeth va découvrir un "parcours (...) extrêmement riche", à tel point qu’elle va se lancer un nouveau défi. “Je pensais qu’une peinture, ce n’était pas assez et je voulais raconter son histoire en entier parce que je voulais toucher plus de gens”, explique Elizabeth.
La peinture reste assez élitiste et je trouve qu’il fallait un médium plus populaire pour vraiment la mettre en avant. C’est pour ça que je me suis décidée à raconter son histoire autrement.
Le choix du roman graphique
Quand Elizabeth fait le choix du roman graphique, elle en parle à son amie Aurélie : elle deviendra sa co-autrice sur le projet.
L’idée d'un roman graphique a mûri parce que c’est une manière de toucher un plus grand public et d’avoir la liberté de raconter tout le parcours de Stéphanie Saint-Clair.
Et en même temps, le format BD “se prête à cette histoire”. “C’était une évidence” pour Aurélie : “il fallait un médium écrit et esthétique pour retranscrire la musique de cette histoire sur fond de jazz, le vaudou, l'élégance de cette femme. C’est ce que réunit le roman graphique.”
Harlem
“Parce que Stéphanie St.Clair a déménagé très jeune à New york et s’est établie à Harlem, évidemment j’ai trouvé une espèce d’écho dans sa vie, un espèce de parallèle à la mienne”, confie Elizabeth Colomba qui vit également dans ce quartier de New York.
Ce projet est justement né à Harlem, il y a deux ans. Elizabeth raconte : “Aurélie a pris un avion et on a commencé à travailler sur place, à Harlem, parce que c’était très inspirant de marcher dans les mêmes rues que Stéphanie Saint-Clair.”
Et Aurélie d’ajouter : “il reste encore beaucoup de choses à Harlem, c’est fascinant ! [Ce quartier] est encore empreint de toute cette ambiance à la fois feutrée, sanguinaire artistique… Le jazz on l’entend encore là-bas…”
Mais selon Aurélie, l’origine du projet reste quand même la Martinique : "c’était quand même ta mère qui à la base t’a parlé de Stéphanie St. Clair”, glisse-t-elle à son amie, “et je pense qu’il fallait une Martiniquaise pour révéler à une autre Martiniquaise l’importance de ce personnage”.“Effectivement, reconnaît Elizabeth, si ma mère n’était pas en Martinique, je pense qu’elle n’aurait peut-être pas entendu parlé de ce personnage.”
Qui est Queenie alias Stéphanie St.Clair?
C’est un personnage qui a existé, mais qui est peu connu à travers le monde. “Queenie, c'est une Martiniquaise qui débarque à Harlem dans les années 20, une période fascinante puisque c’est la Harlem renaissance”, raconte Aurélie Lévy. "Stéphanie va devenir une des reines de la pègre, de la lotterie illégale. Elle va se distinguer par son accent, son allure - c’était une femme extremement élégante, elle va se distinguer dans ce monde d’hommes et surtout survivre dans ce monde d’hommes.”
💭Dans un roman graphique intitulé "Queenie la marraine de Harlem", les deux amies Aurélie Levy et la peintre martiniquaise Elizabeth Colomba reviennent sur la vie passionnante de Stéphanie Saint-Clair, une gangster martiniquaise qui s’est imposée à New York⤵ pic.twitter.com/5iZza49E3a
— La1ere.fr (@la1ere) September 14, 2021
Sur le sujet, Aurélie est intarissable : “elle va être une des premières femmes noires à dénoncer les violences policières, ce qui est assez remarquable à l’époque. Une des premières à faire arrêter un flic blanc qui lynchait un noir dans la rue ! C’est une figure passionnante du banditisme et de la culture harlemite”. A travers elle, les autrices pensent aussi qu’on peut comprendre “un peu plus l’histoire française de la colonisation, celle des Noirs aux Etats-Unis”.
Sauver sa peau
“L’histoire qu’on a choisi de raconter démarre en 1933, à la fin de la prohibition, indique Aurélie, quand les mafieux italiens, juifs et irlandais veulent récupérer son business parce que l’argent de l’alcool se tarit.”
Stéphanie se retrouve à devoir sauver sa peau, son business, ses acolytes aussi. Notre histoire se passe sur ce laps de temps très précis.
Une histoire jonchée de flashs backs “qui nous expliquent comment Stéphanie en est arrivée là, qui elle est et quels sont les grands drames auxquels a dû faire face, la violence qu’elle a subie et qui explique son personnage et sa résilience."
“Elle a été précurseur dans plein de domaines, souligne Aurélie Lévy. Par exemple, elle a été “une des premières femmes à avoir compris l’importance de l’image médiatique : elle achetait des articles dans les médias, des annonces ou elle se présentait (...) et expliquait aux Harlemites leurs droits”. “Elle comprenait aussi l’importance de projeter une image de richesse”, indique l’autrice : “qu’il neige, grêle ou fasse 30° à l’ombre, elle portait sa fourrure."
Comme une super-héroïne
Pour Elizabeth, Queenie a le caractère, l’allure et l’audace… d’un super-héros ! “Qu’est-ce qui caractérise un super-héros ?", se demande la peintre martiniquaise.“Un super-héros perd ses parents; ça crée une problématique. Ensuite, le super-héros a un don qui le différencie des autres : elle a aussi un don, je ne vais pas vous dire lequel - surprise surprise ! - et grâce à ce don elle fait du bien aux autres. Et aussi, elle a un costume : elle, son costume, ce sont ses fourrures et ses bijoux. (…) Je voulais la présenter comme ça et Aurélie était complètement d’accord."
On a décidé de la présenter comme quelqu’un qui n’a peur de rien. Car il y a aussi ce côté chez le super-héros : s'il y a un problème, il le résout en se jetant à l’eau.
En résonance avec les problématiques actuelles
“C’est un projet dont nous parlions depuis plusieurs années mais il prend toute son ampleur maintenant”, reconnaît Aurélie Lévy. “C’est d’autant plus remarquable que nous avons écrit cette histoire avant la mort de George Floyd et avant que le mouvement Black Lives matter prenne autant d’envergure".
Effectivement, dans Queenie, la marraine de Harlem, une scène fait clairement référence à cette actualité récente : il s'agit du viol de Stéphanie par des membres du Klu KLux Klan. Elizabeth Colomba raconte : "cette phrase *je ne peux pas respirer*, on a vraiment décidé de l’intégrer “après l’assassinat de George Floyd, pour montrer que les choses évoluent mais que les problèmes restent les mêmes.”
L’histoire continue
“Quand on lit cette histoire, on est dans le film”, s’enthousiasme Aurélie. Un film qui devrait d’ailleurs voir le jour : “Hollywood a flashé sur notre projet, raconte l’auteure, on a pu vendre les droits cinématographiques de la BD avant même qu’elle ne sorte.”
Aurélie précise : “il faut dire qu’on avait d’abord écrit en amont un vrai scénario de long métrage en anglais, dans les règles de l’art. Sur la base de ce scénario, Elizabeth a réalisé les premiers dessins. C’est ce qui explique le côté cinématographique de la BD.” Les deux femmes avouent être “pleines de reconnaissance pour toutes les portes qui se sont ouvertes”.
On vit une aventure extraordinaire. Je pense que, quelque part, Stéphanie St. Clair est dans l’ombre et tire les ficelles !
Bonus ►Dans cette bande-annonce, Aurélie Levy et Elizabeth Colomba vous dévoilent les coulisses de leur roman graphique Queenie, la marraine de Harlem :
♦ Queenie, la marraine de Harlem, aux éditions Anne Carrière.