Au-delà des ruines incendiées et des inscriptions politiques toujours visibles, le souvenir de mai 2024 plane sur le système éducatif de bien des façons.
1Les dégâts matériels des émeutes
La crise insurrectionnelle - à laquelle une partie de la jeunesse en âge scolaire a participé - a laissé des dégâts colossaux. Parmi les nombreux bâtiments détruits, saccagés ou endommagés, il y a eu plusieurs établissements de l’agglomération nouméenne.
- Pour Nouméa, à Rivière-Salée, le collège public et son voisin le lycée professionnel Petro-Attiti. À Ducos, la maternelle Les Orchidées, les écoles Gustave-Lods et Daniel-Talon, le collège de Kaméré. À Magenta, la maternelle Les Pervenches…
- Sur Dumbéa, le groupe scolaire Louise-de-Greslan, l'école Jack-Mainguet, le collège Edmée-Varin d'Auteuil…
- Au Mont-Dore, le collège de Boulari, les établissements scolaires catholiques de La Conception.
- À Païta, l’école Jean-Baptiste-Gustin, le collège Louise-Michel, le lycée Jean XXIII.
2Une année scolaire 2024 perturbée
Le retour en classe a commencé à la mi-juin, et il s'est échelonné sur plusieurs semaines. Des classes ont été relocalisées dans d'autres établissements faute de pouvoir utiliser les locaux. Des élèves, au collège Tuband par exemple, ont été déplacés le temps que la sécurité soit garantie dans le quartier. Des communes de Brousse ont suspendu leur rentrée ou leur logistique périscolaire aux problématiques d'accès. Au Mont-Dore, le lycée public a eu le plus grand mal à recevoir ses élèves de la partie Sud, pour cause de route coupée…
Dans ce contexte, les examens ont été passés en contrôle continu intégral. Voilà une partie du bagage laissé à la communauté éducative par une "année éprouvante", comme dit le vice-recteur Didier Vin-Datiche. Le niveau, la santé psychologique des élèves et des équipes, le décrochage scolaire post-émeutes pour lequel les autorités ne donnent pas de chiffre officiel… sont autant de sujets. "Il ne faut pas minimiser le traumatisme de l'année 2024", glisse la membre du gouvernement en charge de l'enseignement, Isabelle Champmoreau.
3Une rentrée qui déménage
C’est un des phénomènes marquants : des élèves vont faire leur rentrée de février à un autre endroit qu’en 2024.
- Il y a celles et ceux qui ne peuvent pas retourner dans leur établissement, et qui en fréquenteront un nouveau, parfois éloigné de l'ancien. Exemple emblématique : la décision de ne pas rouvrir le collège de Rivière-Salée fait que les jeunes du quartier ont été affectés ailleurs, notamment au collège des Portes-de-Fer.
- Il y a les élèves dont les familles ont quitté la Calédonie dans le sillage des émeutes, ou qui ont été envoyés hors du Caillou pour continuer leur scolarité.
- Il y a ensuite tous ceux qui ont déménagé à l’intérieur du pays : d’une province à l’autre ; d’une commune à l’autre ; au sein de la même commune… Pour des problématiques de sécurité, de déplacement ou de coût. Un grand enjeu de la rentrée était d'intégrer les mouvements de population, qui ne semblent pas terminés.
4Les caisses vides des collectivités
Toutes les collectivités traversent des problèmes financiers, malgré l'accompagnement de Paris, entre le coût des dégâts et l'absence des financements attendus de la Nouvelle-Calédonie. Aussi bien la province Sud que la province Nord, la province Îles, les villes, les petites communes. Il en résulte des choix budgétaires drastiques.
Malgré les efforts déployés pour sanctuariser l'école, une partie des décisions affecte l'éducatif : transport scolaire plus pris en charge par la province Nord ou facturé plus cher à tel endroit, augmentation du prix de la cantine à Nouméa, aides sociales supprimées ou diminuées ici et là, inscriptions plus encadrées… En réponse à la crise, le Sud a même décidé de conditionner son accompagnement à un critère de résidence : il est demandé de justifier qu'on habite la province depuis au moins dix ans.
Illustration dans ce reportage d'Aurélien Pol
Malgré tout, la reconstruction des écoles est érigée en priorité. L'État s'est engagé à la financer à 100 %. Encore faut-il définir le calendrier des chantiers.
5Les difficultés financières des familles
Entre mars et décembre 2024, dans le sillage des émeutes, au moins 11 600 salariés du privé ont perdu leur travail, sur un total d'environ 60 000. Une estimation publiée par l'Institut de la statistique et des études économiques, sans même compter l'auto-emploi et le secteur public. L'Isee souligne aussi qu'en fin d'année, environ 13 500 Calédoniens étaient encore indemnisables au titre du chômage partiel, c'est-à-dire que leur entreprise étant en difficulté, l'activité est réduite et le temps de travail, diminué.
S'ajoute la cherté de la vie : en janvier encore, les prix ont augmenté, de 0,7 %. Avec des dispositifs d'aide sociale revus à la baisse, et une rentrée scolaire coûteuse, les difficultés s'additionnent. En particulier, pour les foyers calédoniens les plus modestes. Alors que la précarité s'avère grandissante, l'heure est plus que jamais à la quête du plus petit prix, à la débrouille et aux solutions alternatives.
6Des transports incertains
Pour retourner en classe, encore faut-il réussir à aller jusqu'à l'école. La contraction des transports en commun fait partie des conséquences marquantes de la crise insurrectionnelle. Le casse-tête des déplacements a marqué les neuf derniers mois. Dans l'agglomération nouméenne, le réseau de bus n'est plus du tout le même qu'à la rentrée 2024, même si un nouveau fonctionnement a démarré le 10 février. L'incertitude plane sur les modes de transport scolaire. Alors, des initiatives s'efforcent de prendre le relais.
7Une sécurité questionnée
Un autre facteur joue sur l'ambiance générale de cette rentrée : les craintes d'un regain de tension, voire de nouvelles émeutes. Depuis plusieurs semaines, des rumeurs persistantes circulent en ce sens. Infondées, répondent les forces de l'ordre. "Nous n'avons pas d'alerte particulière pour le moment", renchérit le haut-commissariat. Ces bruits courent à un moment particulier sur le plan politique, sachant que les violences ont éclaté sur fond d'opposition indépendantiste au dégel du corps électoral. Les discussions sur l'avenir institutionnel tentent actuellement de reprendre, à Paris puis en Calédonie où le ministre des Outre-mer est attendu à partir du 22 février. En attendant, un déploiement policier conséquent est annoncé le 17, jour de la rentrée.
8Sans oublier la météo
La météo pèse elle aussi sur le début d'année scolaire. À cause des pluies successives, qui affectent les routes et les captages d'eau, les écoliers de Ponérihouen reprendront le 24 février, une semaine après les autres. Pour la même raison, tous les établissements de Canala accueilleront leurs élèves le 19 au lieu du 17. Sur un point, cette rentrée ressemble aux autres : chaque année, des élèves calédoniens espèrent qu'une dépression ou un cyclone obligera à la reporter.