Quinze minutes pour convaincre : le destin des "mules" jugées à Créteil

Le tribunal de Créteil (94).

Quelques minutes pour décider d'une vie : arrêtées à l'aéroport d'Orly, de la cocaïne dans leurs bagages ou "in corpore", cinq jeunes femmes sont jugées en l'espace d'un après-midi par le tribunal de Créteil, qui croule sous les comparutions immédiates de "mules".

Le sort de Lola* se joue en un quart d'heure. A 16h10, elle pénètre dans le box vitré réservé aux prévenus, escortée de deux policiers. La voici devant les juges, trois jours après son arrestation à l'aéroport d'Orly avec environ 4 kilos de poudre blanche dissimulée dans ses bagages.

Restée frêle pour ses 22 ans, la jeune Guyanaise flotte dans son pull blanc, ses nattes agrémentées de perles transparentes soulignant son visage enfantin. "Je suis vraiment désolée", plaide-t-elle dans un sanglot, "j'ai fait ça pour mon petit frère parce qu'il a besoin de soins". Le commanditaire lui aurait promis 5.000 euros pour ce trajet.  

La situation familiale de Lola - son frère de trois ans atteint de trisomie, son père décédé - mais aussi son parcours scolaire irréprochable et la promesse d'un CDI semblent attendrir la présidente d'audience qui lâche même : "Quel dommage".

A 16H26, Lola retourne au dépôt, condamnée à 18 mois de prison et Diane lui succède dans le box.  Visiblement bouleversée, la jeune femme de 19 ans, sans emploi, tente d'expliquer qu'elle ne savait pas que la connaissance qui lui a demandé de transporter des plats pour sa famille y avait camouflé au préalable de la drogue. Comme Kayla, assistante en école maternelle et enceinte de trois mois, qui a cru "rendre un service" en embarquant avec elle du bouillon d'awara, ce ragoût guyanais devenu leurre pour trois kilos de cocaïne.


Avant elles, la Surinamaise Gabriella avait soufflé d'une voix à peine audible à son interprète qu'elle "regrettait", tandis que Marion, la seule à avoir un casier judiciaire avant l'audience, avait reconnu, l'air frondeur, avoir importé des kilos de cocaïne, dont 100 grammes en ovules dans son vagin. Pour ces faits, elles risquent toutes jusqu'à dix ans de prison.

"Marchands de mort"

Ces cinq femmes ont été interpellées les jours précédents à Orly, deuxième aéroport de France. Chaque vol Cayenne-Orly compterait parmi ses passagers entre huit et dix passeurs de cocaïne "en temps normal", chiffre un rapport sénatorial de septembre dernier.

Si en 2020, ce trafic a baissé en raison de la pandémie, les douaniers d'Orly ont saisi en 2019 près de 1,4 tonne de cocaïne, selon le parquet de Créteil. 

Arrêtées aux douanes, ces "mules" sont placées en détention provisoire puis rapidement déférées devant le tribunal. "Elles sont souvent passées à l'acte car dans des situations de précarité très importante", rappelle Me Laura Temin, avocate du barreau du Val-de-Marne habituée des comparutions immédiates. "Le problème, c'est que (Gabriella) a le profil d'une personne qui peut être considérée comme Madame Tout-le-monde" mais "plus de trois kilos, c'est extrêmement grave", tonne le procureur, qui requerra indifféremment 24 mois de prison pour chacune des prévenues.


"Ce sont les instruments d'un marché très juteux (...) de marchands de mort sans scrupules" qui "espèrent que la loi des grands nombres en laisseront passer certains", défend Me Ernesto Benelli, avocat d'une des jeunes femmes. Pour chacune d'elles, les douanes ont demandé des amendes aux alentours de 100.000 euros, le prix de revente potentiel de la drogue sur le marché. 

Une requête "absurde" pour Me Temin, pour qui "ces derniers maillons de la chaîne" n'ont pas à payer "ce que les têtes de réseau auraient touché".

Toutes - sauf Marion - ont écopé de la même peine de 18 mois d'emprisonnement avec mandat de dépôt et d'une amende douanière de 5.000 euros. Pour Marion, ce sera 24 mois et 8.000 euros. "Pour la majorité, la peine sera aménagée", se console Me Temin, qui assure toutefois qu'un très grand nombre de femmes incarcérées à la prison de Fresnes sont "des transporteuses" de cocaïne.

* les prénoms ont été changés