C’est un mot qui a envahi l’espace médiatique ces derniers jours. Wuambushu, nom donné à l’opération voulue par Gérald Darmanin à Mayotte pour lutter contre la délinquance, est emprunté au shimaoré, l’une des langues les plus parlées par la population de l’île. Il est régulièrement traduit dans les médias par "reprise"... Sauf que le terme aurait en fait une tout autre signification, plus complexe selon deux spécialistes de la langue.
Pour en savoir plus, Outre-mer la 1ère a interrogé d’une part Lavie Maturafi, docteure en sciences du langage et référente "contextualisation et langues régionales" à l’université de Mayotte (CUFR) ; d’autre part Miki Mori, maître de conférences en sciences du langage au CUFR et sociolinguiste qui étudie les langues mahoraises (principalement le shimaoré) et vit à Mayotte depuis une dizaine d’années.
Avant de parler du sens du mot, la Mahoraise Lavie Maturafi relève qu’"ils se sont trompés dans l'orthographe". Le mot devrait s'écrire uwambushu et est en fait un verbe. En shimaoré, le u- marque l'infinitif.
"Provoquer" devient "oser affronter"
Quant à son sens origine, les deux linguistes rappellent que uwambushu est souvent utilisé à Mayotte pour gronder les enfants lorsqu’ils font des bêtises. "À la base, on l’utilise pour réprimander quelqu’un", explique Lavie Maturafi. D’où la traduction "enfants insolents" parfois reprise par des Mahorais.
"C’est une expression moralisante", affirme Miki Mori. Cette dernière interprète donc uwambushu comme un synonyme de 'récolter', qui s’apparente au dicton populaire : "On récolte ce que l’on sème".
C’est un dicton qui sert d’avertissement pour de mauvais comportements. Il induit qu’il y a des conséquences pour nos actions.
Miki Mori, sociolinguiste
"Pour moi, ils [les membres du gouvernement, ndlr] n’ont pas choisi le bon mot pour qualifier l’opération. Il y a un aspect négatif, ajoute la sociolinguiste. C’est curieux d’utiliser ce mot. Même s’il est compliqué de le traduire exactement, il n’est pas neutre."
Lavie Maturafi propose pour sa part une analyse différente et note un glissement de sens : elle assure que la signification du terme a changé dans l’esprit des Mahorais depuis le début de cette opération.
Pour nous les Mahorais, on utilise uwambushu pour dire qu’une personne ose provoquer quelque chose.
Lavie Maturafi, docteure en sciences du langage
"Quand on sait la signification d’origine, oui, c'est un reproche. Mais là, c’est l’inverse, c’est l’État qui ose aller au front pour affronter quelque chose dont les gens ont peur", explique la linguiste au CUFR. Je dirais que la signification s’est inversée, car les Mahorais voient dans Wuambushu [l’opération, ndlr] une bonne action, non pas une provocation."
Des racines inconnues
Ce glissement de sens n’est pas contredit par Miki Mori. Il peut même "engendrer plusieurs interprétations. Uwambushu m’a l’air d’être un mot polysémique", avance cette dernière. Elle a cherché le verbe "dans les deux dictionnaires en shimaoré qui existent". "Je n’ai pas trouvé ses racines, non plus dans les dictionnaires kibushi, malgache, swahili, arabe…", assure-t-elle.
Car souvent, les mots en shimaoré sont issus d'autres langues, ce que confirme la Mahoraise Lavie Maturafi : "Par exemple, le mot marahab(b)a en arabe veut dire 'bonjour', 'bienvenue' ; à Mayotte, il veut dire 'merci' en shimaoré." "On organise la langue en fonction de notre utilisation, de nos besoins, c’est pareil pour uwambushu", explique-t-elle.
Entre "oser affronter ce dont les gens ont peur" ou "récolter ce que l’on sème", la définition de Wuambushu semble varier en fonction de la position politique des uns et des autres sur l’opération à Mayotte. Ce qui est certain pour les deux linguistes, c’est que le mot 'reprise' n’est pas approprié, voire "n'a rien à voir", pour Lavie Maturafi.