Reconnaître les "ombres" et la "lumière" de la colonisation : l’exemple calédonien

L'accord de Nouméa à sa signature, et quelques mots de son préambule.
La colonisation devient un thème polémique dans la campagne pour l’élection présidentielle. Mais il existe un texte officiel français qui en définit les aspects négatifs et positifs et pourrait mettre tout le monde d’accord : le préambule de l’accord de Nouméa. 
Nous sommes en mars 1998. Le FLNKS et le gouvernement ont rendez-vous à Paris, au ministère de l’Outre-mer. Avant d’ouvrir les négociations qui mèneront à l’accord de Nouméa, les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie veulent régler ce qu’ils nomment « le contentieux colonial ». Ils souhaitent voir l’Etat reconnaître les conséquences de la colonisation, les préjudices subis par les Kanak, premiers occupants du territoire : répression, terres spoliées, identité bafouée.

Un texte unique dans le droit français

Les discussions vont durer une semaine. Côté indépendantiste, une délégation de six  personnes, dirigée par Roch Wamytan, avec notamment Paul Néaoutyine, et Charles Pidjot. Côté gouvernement, c’est Alain Christnacht, alors conseiller du Premier ministre Lionel Jospin, qui mène les pourparlers, aux côtés du secrétaire d’Etat à l’Outre-mer de l’époque Jean-Jack Queyranne, de son directeur de cabinet Thierry Lataste et de son conseiller François Garde. Chaque mot est pesé. Le document final tient en trois pages. Trois pages denses, au contenu profond et symbolique, unique dans le droit français.

Le texte évoque d’abord la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France au XIXe siècle. Il reconnaît que « les traités passés, au cours de l’année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait des actes unilatéraux » et que « le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d'origine. »
 

Prendre en compte colonisateurs et colonisés

La force de ce document est résumée dans une phrase-clé :

  Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière. »








Son originalité est de prendre en compte les souffrances du peuple kanak mais aussi d’admettre l’apport des Européens et des autres populations venus s’installer en Nouvelle-Calédonie : « Les nouvelles populations sur le territoire ont participé, dans des conditions souvent difficiles, en apportant des connaissances scientifiques et techniques, à la mise en valeur minière ou agricole et, avec l'aide de l'Etat, à l'aménagement de la Nouvelle-Calédonie. Leur détermination et leur inventivité ont permis une mise en valeur et jeté les bases du développement. »
 

Décolonisation et destin commun

Le mot « décolonisation », qui ne figurait pas dans les accords de Matignon de 1988, fait ici son apparition : « La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d'établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps. »

Ce texte veut poser les bases de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il crée une notion entrée aujourd’hui dans le langage courant sur le Caillou, celle de destin commun : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun. »

 
Une approbation unanime

En obtenant cette reconnaissance du fait colonial, les indépendantistes savaient qu’ils avaient gagné une manche importante, avant de commencer les discussions proprement dites sur l’accord de Nouméa. L’un de leurs négociateurs, Jean-Louis d’Engleberme, nous avait confié : « Même si on ne l’affiche pas vraiment à ce moment-là, on est très satisfaits. »

Les anti-indépendantistes et leur leader Jacques Lafleur, président du RPCR n’avaient pas été associés à cette discussion. Le document était censé concerner seulement les relations entre les indépendantistes et l’Etat. Mais, au grand étonnement du FLNKS et du gouvernement, Jacques Lafleur le trouve « exceptionnel » et l’approuve. Alain Christnacht reconnaissait à ce moment-là que cette réaction l’avait « bluffé » : « Je lui ai dit : je ne vous demande pas de l’approuver. Il a répondu : je veux signer ».
 
Le 5 mai 1998, à Nouméa, lors de la signature de l'Accord. De gauche à droite : Roch Wamytan, Lionel Jospin, Jacques Lafleur. Derrière eux : Alain Christnacht et Thierry Lataste.

Ce document allait devenir, en mai 1998, le préambule de l’accord de Nouméa. A ce titre, il est inclus dans la Constitution et fait donc partie intégrante du droit français. Une lecture que l’on pourrait conseiller à tous les candidats à l’élection présidentielle…

Le préambule de l'Accord de Nouméa

Disponible sur le site du Journal officiel par ici.