Rencontre avec Doudou la graffeuse

Jessy pose devant les murs de la chambre 303 de l'hôtel Best Western Saint-Martin Bastille, Paris 11e.
Elles sont peu nombreuses, les femmes, dans le monde du street art. Parmi elles : Jessy, alias Doudou. Débrouillarde et passionnée, l’artiste peintre d’origine martiniquaise en a fait son métier. Rencontre à Paris avec cette graffeuse pleine d'entrain.
“Allo bonjour, c’est la graffeuse ! La graffeuse... J’adore faire cette blague au téléphone”, lance l’artiste peintre Jessy Monlouis-Bonnaire, dans un grand éclat de rire. Il faut dire qu’on entend peu souvent “graffeur” au féminin. “Un monde de mecs, à 95 % !”, constate Jessy, 31 ans, alias Doudou. Référence à ses origines martiniquaises.

“Just do art”, peut-on lire sur son sweat noir. Dans la poche de son pantacourt plein de taches, un crayon bien taillé. En cette fin juillet, Jessy/Doudou boucle une commande dans un hôtel 3 étoiles du 11e arrondissement de Paris. Sa mission consiste à repeindre, à SA façon, les murs de deux des 27 chambres de l’établissement. “Jusqu’à aujourd’hui, c’était les moins chères. Après l’intervention d’artistes comme Jessy, pas impossible que ça devienne le contraire”, escompte la directrice du Best Western Saint-Martin Bastille, rayonnante. Sa seule inquiétude : les fortes odeurs de bombes...

Pin up métissée du 140 rue Saint-Maur, Paris 11e : "Un café d'abord ?"


Passion panda

Sa façon, à Jessy, c’est la “photograffée”. Avec son collectif Anartchik (composé de Caligr, Djalouz et Pesca, que des hommes), elle peint souvent à partir de photos (démonstration dans cette vidéo). Le reste du temps, elle dessine aussi des pandas, son dada. “Ça me détend”, explique-t-elle en riant. Pour s'en apercevoir, il n’y a qu’à faire un tour sur sa page facebook ou dans les quartiers parisiens de Belleville et d'Oberkampf. Au 40 rue de Tourtille, difficile de passer à côté de cette énorme face de panda, signée “Doudou style". Au 140 rue Saint-Maur, aux pieds d’une immense pin up métissée, l’animal aux taches noires brandit une petite pancarte : "972", ça ne s'invente pas.

Jessy a beau avoir grandi en région parisienne, elle connaît bien la Martinique. Plus jeune, elle avait l'habitude de rendre visite à sa famille tous les trois ans, l’été, grâce aux congés bonifiés. “Il y a longtemps que je n’y suis pas retournée, mais j’en garde de très bons souvenirs ! s'exclame-t-elle. Au début, quand je peignais, j’étais très influencée par la Caraïbe. Partout où j'allais, je mettais du vert, du rouge, du jaune… Et je n’arrêtais pas de faire de grandes femmes noires aux traits fins. Aujourd’hui, je suis un peu passée à autre chose.”

"972", peut-on lire sur la pancarte du panda, au 140 rue Saint-Maur, Paris 11e.


"Notre capital santé, on l'offre au public"

Le graff, Jessy/Doudou est tombée dedans il y a une dizaine d'années, "un peu par hasard". Après un bac pro commerce ("j'ai été très mal orientée", ne cesse-t-elle de répéter), elle se tourne vers une prépa arts appliqués. De la prépa, elle ne retient pas grand chose, si ce n'est des rencontres. "C'est à ce moment-là que j'ai découvert le monde du street art", un monde qu'elle n'a plus jamais quitté.
 
Auto-entrepreneuse, elle cumule les projets à droite à gauche. Quand elle n'anime pas des ateliers graffiti pour les enfants, elle expose et vend dans des galeries. "Vu qu’on fait de l’art dans la rue, beaucoup s’imaginent qu’on n’a pas besoin de sous, mais c’est faux ! En plus, faut voir comme on se bousille les bronches. Notre capital santé, on l'offre au public..." Mis à part ça, Jessy s'éclate : "Je rencontre un monde fou, des gens passionnants, je voyage..." Et de conclure, magnanime : "Franchement, la vie c'est cool."

Un panda géant, au 40 rue de Tourtille, dans le 20e arrondissement de Paris.