Rugby : au Stade Toulousain, un trio confiné mais toujours uni comme en Nouvelle-Calédonie

Le trio sous le même maillot prestigieux
Peato Mauvaka, Paulo Tafili et Rodrigue Neti composent depuis le début de la saison la première ligne du stade Toulousain. Issus du club de Dumbéa en Calédonie, ils ne se quittent jamais dans la ville rose, sauf à cause de ce confinement, difficile à vivre pour eux. Tout est question d'adaptation.

Les trois costauds ne sont jamais bien loin les uns des autres. Déjà dans leur quartier de Koutio ou Katimarona, mais aussi sur le terrain du Parc des Sports Rocky Vaitanaki.
 

Un rêve parti du Caillou

Repérés par le Stade Toulousain, ils débarquent dans la ville rose entre 2012 et 2014, passent par le centre de formation puis deviennent professionnels. 2019, Peato accède à l’équipe de France, Paulo et Rodrigue les deux piliers se font une place de titulaires dans l'équipe entraînée par Hugo Mola. L’ascension est logique et continue. D’autres rugbymen de l’URCD (Union Rugby Club de Dumbéa) sont en métropole, et d’autres jeunes issus du pôle espoir, vont bientôt arriver suite à un stage effectué en février. Avec toujours le rêve de devenir pro un jour.
Match à Dumbéa, au Parc des Sports Rocky Vaïtanaki
 

Voisins Toulousains

Mais voilà, plus de rugby pro, plus de Top 14, en attendant une hypothétique reprise du championnat. Ce confinement est difficile à vivre. Peato Mauvaka après son séjour avec l’équipe de France le ressent le plus : " C’est dur, oh oui ! Passer des Six Nations, directement au confinement, vivre à 42 pendant un mois et demi avec le groupe France entre Marcoussis, et les premiers matchs, et d’un seul coup être à deux avec ma compagne, c'est quelque chose de dingue. Et puis avec Rod et Paulo on se voyait tout le temps. "


Paulo Tafili le Futunien habite à cinq minutes de chez Peato. Lui, la force tranquille, a eu un peu peur sur le coup : " Le confinement, franchement, quand le président Macron l’a évoqué pour la première fois à la télévision, je ne le prenais pas trop au sérieux. Je pensais qu’ils allaient trouver une solution rapide et quand il l’a officiellement annoncé quatre jours plus tard, du coup j’ai commencé à paniquer un peu. Le mardi du premier jour dans le supermarché à Toulouse c’était de la folie, heureusement je me suis calmé. "

Peato et Paulo sur leur deck

Quant à Rodrigue, il a pris les choses d’une façon plus tranquille. Papa depuis sept mois d’une petite Kaylee, il est peut-être devenu plus sage que ses deux complices." On s’appelle par face time, c’est différent mais ça va. Il y a aussi les autres du Pacifique dans le club comme Iosefa Tekori, notre "Papa". Lui nous dit que c’est long. C’est vraiment particulier, on passe de tout à rien ."

" Le plus difficile c’est de ne pas se voir tous les trois. On se voyait trois fois par semaine au moins. Maintenant on s’envoie des messages. "

 

Les "costauds"

Rodrigue est celui qui habite à la campagne, à trente minutes de Toulouse, en direction de Montauban. Il a plus d’espace. Normal, la famille s’est agrandie. Le Stade Toulousain a prêté à chaque joueur du matériel pour la musculation et les entraînements cardio. Le club champion de France a les moyens. Mais Rodrigue ne pense pas que rugby : " Le rameur est sur ma terrasse, en plein air, et mon garage est devenu la salle de musculation. Mais comme on n’a plus des emplois du temps de folie avec le rugby, je peux profiter pleinement de ma compagne Julie et surtout de Kaylee. Elle est née en juillet dernier et je ne l’avais pas beaucoup vu. A la limite, je voyais plus Peat et Paulo."
 
Rodrigue sur son rameur

Paulo avoue avoir fait la paix avec sa PlayStation, s’est commandé un jeu d’échecs pour devenir stratège et joue aux cartes avec sa copine Aurélie. Tout en n’oubliant pas de garder un œil sur Netflix et son chien Oucky, un spitz japonais. Mais ça c’est l’après-midi, après le boulot. Il est plutôt équipé en matière de musculation, et nous offre une chronique détaillée de ses instruments de torture : " J’ai un skiErg, le même principe que le rameur sauf que tu es debout, comme si tu skiais… J’ai un vélo pour le cardio, des poids de 35, un kettlebell de 24 (poids en forme de boulet avec poignée) une barre Z (barre tordue pour musculation à la maison) avec deux poids de 10. " 

Peato, lui, est aussi dans sa maison. Adepte de Netflix, il avoue avoir vu le meilleur film de sa vie avec Miracle in the Cell n°7, un film turc. Un peu de cuisine à deux avec sa copine Laura, mais pas d’inscription à top chef encore. En revanche côté physique c’est élevé, avec le matériel qui va bien: un rameur, un vélo prêté par les parents de Laura, un tapis de sol pour les poids (pour pas péter le carrelage, avoue-t-il ….), un sac de plaquage, un sac de boxe avec les gants, il est armé. En mixant le programme préparé par le Stade Toulousain et celui de l’équipe de France, Mauvaka est au top. Mais en y ajoutant un défi de taille : "J'ai instauré un challenge crossfit avec la famille. " 

" Je fais des séances de crossfit car le rameur, pendant deux mois, ce n’est pas possible, je vais finir sur la Garonne ! Garder le lien est indispensable, du coup tout le monde s’y est mis. Surtout Yvan. Quand on était gosses on allait jouer au volley-ball après l’école."

 

Loin mais près de leurs proches

Arrivé avec son frère Peato en métropole en même temps que lui, Yvan Karl Tufele est très proche de lui. Ils ont trois ans d’écart mais sont comme des jumeaux. Maman Mauvaka l'a envoyé en France en même temps que Peato pour qu’il veille sur lui. Les autres frère et soeurs à relever le défi du Crossfit sont à Nouméa : sa grande sœur Yarmila, sa petite sœur Maureen et son grand frère Kevin (le moins sportif). Dans la famille les liens ont été encore plus resserrés depuis la décès du Papa en Décembre 2018.
Paulo, lui, est inquiet même si l'archipel de Wallis et Futuna n’est pas encore touché." Ma grande sœur est à Wallis et mes parents sont à Nouméa. Elle va bientôt accoucher et du coup mes parents sont allés à Wallis juste avant l’arrêt des vols.

" Les trois rois ont décidé bloquer tout accès. C‘est important car s’il y a un cas ils vont tous mourir là-bas, et ça peut se propager très vite."


Rodrigue aussi a des nouvelles fraîches de Nouméa, où est resté son papa. Sa maman et son oncle sont dans l’Hexagone. Mais c’est pour sa Nouvelle-Calédonie pour qu’il a des craintes : " Sur le Caillou, on est un peu tête en l’air. Quand j’étais gamin à Koutio, on n’aimait pas être à l’intérieur de la maison, on était tout le temps en vadrouille. C’est pour cela que je dis que ce n’est pas simple de confiner les gens. J’espère qu’ils vont les suivre les consignes à la lettre, car c’est pour le bien de tout le monde."


Quel avenir ?

Un trio en attente comme leurs coéquipiers

Le trio avoue n’avoir aucune information sur la suite de leur quotidien de rugbyman professionnel. Paulo qui habite à côté du stade, constate qu’il n’y a plus de bruit du tout et attend ce que décidera la ligue. Pour Rodrigue la priorité c’est la santé et que les choses aillent mieux. Peato lui a un point de vue plus tranché : " Le mieux c’est de tout annuler et d’oublier cette saison. Quand on est confiné, on s’entraine tout seul et plus du tout collectivement, du coup on perd les repères. Il vaut mieux revenir tout doucement et recommencer une saison à la rentrée. Plutôt que de précipiter les choses en juin-juillet." 

Si ce scénario est confirmé, les trois garçons ne pourraient pas défendre le titre de champion de France acquis en 2019 avec le Stade Toulousain. Du coup, Paulo se tourne vers la religion pour croire en un avenir meilleur, avouant avoir grand plaisir avec Aurélie de faire deux ou trois fois par semaine une petite prière avant de dormir. Et le pilier de conclure plus philosophe : 
 

Nous trois avec Rod et Peat on essaie de tenir la baraque, de représenter le pays et la famille.


Le pays et leurs familles, très fiers de leur trois guerriers, rêvent secrètement de les voir un jour tous sous le maillot bleu. Impossible n’est pas URCD !